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Ce droit de réponse fait suite au compte rendu par Trudy Bolter (Institut dEtudes Politiques, Université Montesquieu-Bordeaux IV) de Christine DESAFY-GRIGNARD. Arthur Miller : Une vie à luvre. Paris : Michel Houdiard Editeur, 2003. Il sera suivi d'une réponse de Mme Bolter.
La Revue Transatlantica a publié ce compte rendu sur mon livre, Arthur Miller, une vie à luvre, qui appelle certaines mises au point : jutilise donc mon droit de réponse.
Dire dun livre de 426 pages quil est « inachevé », dune seconde édition quelle « donne limpression dun premier jet mal corrigé », des notes qui occupent 21 pages soit 6% du livre quelles « sont trop rares ( 258 au total ) et surtout incomplètes » tient du paradoxe et presque de la provocation ; parler de « profusion derreurs sur tous les plans » surtout sur celui de lorthographe, probablement confondue avec la typographie, est une hyperbole déplacée, quand on sait que louvrage contient plus de 180.000 mots représentant environ 900.000 signes ! Sagissant de Stanislavski, puisquil est cité, je concède que le mot « membre » est une extrapolation imprécise de linfluence que le célèbre russe eut sur Lee Strasberg et les méthodes du Group Theatre. Il eut été en effet plus juste décrire « membre de la communauté spirituelle du Group Theatre ».
Qualifier de « tronqué et de superficiel » le traitement que je fais dauteurs contemporains de Miller Odets, O Neill, Williams laisse entendre négligence voire ignorance de ma part, alors quil sagit du choix concerté dun auteur et de son éditeur dalléger un ouvrage dont le sujet est vaste, ce genre détude parallèle trouvant mieux sa place dans une revue universitaire.[1] Pour lopinion portée sur la discussion (p.134) du caractère tragique de Salesman « rapide, dénuée dexemples, sans références » (comme le sont, paraît-il, dautres développements qui ne sont pas mentionnés ), je précise quil sagit là dun choix personnel : privilégier léclairage socio-culturel, cest à dire le contexte dans lequel cette « tragédie moderne » a été créée et reçue par les critiques de théâtre.
Ces remarques seraient recevables si elles faisaient partie dun compte rendu exhaustif de mon livre, ce qui nest pas le cas.
Je constate en effet que seul le paragraphe 1 du texte qui annonce la démarche du livre, fait office de compte rendu, quoique là encore, on ait oublié de signaler que « la navette » (puisque telle est lexpression employée) que jeffectue entre Timebends et luvre cessant de fonctionner en 1987, je continue de rendre compte de la fécondité de lécrivain [2] dans le dernier chapitre, La fin dun siècle et le début dun autre (pp.339-377), sans le support biographique. En fait ce compte rendu ne concerne que quelques lignes des chapitres I, II (La Judéité et Le Clan) et de lEpilogue qui traitent de la judéité de Miller : quatre paragraphes sur six sont consacrés à ces passages et le reste du livre est, au mieux survolé, au pire, ignoré, soit quelques 360 pages qui témoignent pourtant de lhomme de théâtre et de lessayiste [3], du romancier et auteur de nouvelles [4], et de lintellectuel engagé que continue dêtre aujourdhui Arthur Miller.
Dans les quatre paragraphes en question, certaines de mes expressions sont mises en vedette. Lennui, je devrais dire, la malhonnêteté, cest quon les a extraites du contexte, privées des citations qui les illustrent et quelles débouchent sur une exégèse tendancieuse qui leur donne une connotation péjorative loin de mon propos.
Ainsi p.19, on accole le mot juif à celui de « caméléon » et on en fait « un stéréotype déplaisant, un raccourci paresseux, voire dangereux » , alors que la phrase de mon livre est la suivante : « Miller attribue à ses antécédents son désir constant dévolution, ce devenir perpétuel qui est un trait du caractère juif ; lerrance, source de souffrance, a développé chez le Juif la qualité du caméléon : une grande adaptabilité. ».
On maccuse (p.22) dutiliser « sans nuance » le terme « éculé de Yiddish mamma » ( un terme éculé perd peut-être de son originalité mais pas de sa véracité ) mais on omet de citer la petite scène savoureuse dhumour, extraite de La Pendule américaine [5] qui appelle ce terme ( le jeune Sydney, qui a lambition de devenir compositeur, se bat, dans le contexte difficile de la Grande Dépression, avec sa mère qui, pour pouvoir payer le loyer de la famille, a décidé quil épouserait Doris, la fille de leur propriétaire, une boulangère ! ).
Dans lEpilogue (pp. 380- 381), on me reproche « de manquer de rigueur », lorsque je mattache à montrer que Miller est un auteur « juif ». Or , avec force dexemples à lappui ( § au bas de la p. 380), je fais la preuve ( je me cite) que « lidentité juive de Miller sest affirmée dans ses uvres récentes où beaucoup de personnages sont juifs, le disent et le clament même bien haut ».Dommage que ces exemples ne soient pas cités. On me conteste lexpression « juif psychologique » (écrite entre guillemets, car elle nest pas de moi), employée par Yosef Yerushalmi mais on omet de citer le portrait qui accompagne cette expression et la justifie : « il possède certains traits de caractère inaliénables : lintellectualité et lindépendance desprit, une exigence éthique et des normes morales élevées ainsi quun souci de justice sociale/
/ Il est sensible dune façon qui lui est particulière aux préjugés antisémites, il flotte dans une judéité indéfinissable mais pourtant réelle et soppose farouchement à toute tentative de la part de la société environnante de le définir contre sa volonté ». [6]
Appliquant au théâtre de Miller ce que David Sievers, dans les années 50 [7] , écrivait de celui dOdets, ( à savoir que cest davantage par ses intuitions sur Freud que par le cadre de ses pièces, que Miller trahit sa judéité ), on me concède que ce point de vue nest pas inintéressant mais on déplore que je laffaiblisse par « des formulations essentialistes et irréfléchies » en donnant comme exemple, une phrase « maladroite et regrettable parmi dautres » (parce que jy emploie le mot « dogme » pour la religion juive) [8] mais qui, malheureusement, na rien à voir avec le jugement de Sievers !
« Last but not least », encore dans lEpilogue (p.381), on me conteste lappellation « décrivain religieux » et afin de mieux en montrer lincongruité, on laccole, suivant le procédé précédemment dénoncé, à celle, habituelle donnée à Miller, de juif séculier. Là encore lexpression « écrivain religieux » nest pas de moi ( doù mes guillemets ), mais de Neil Carson [9] et est reprise par Terry Otten [10], deux exégètes de Miller qui, eux, ne sont pas rebutés, par le paradoxe qui consiste à dire que Miller, vers la fin de sa vie, malgré son image et sa réputation de juif séculier, peut en effet être décrit comme un écrivain « religieux ». Une opinion que je partage mais que je ne revendique pas péremptoirement, puisque jécris (p. 381) : « On peut voir dans la manière dont Miller persiste à réaffirmer le « présent » du passé et dans la foi quil garde dans le pouvoir rédempteur de la tragédie, une manière de pallier le chaos dans lequel la mort de Dieu a laissé lunivers moderne. Dans cette optique et malgré son image de juif séculier et dhumaniste, on peut peut-être sautoriser à parler de lui comme dun écrivain religieux ».
En conclusion, cet article (que je suis contrainte dappeler « compte rendu » faute de mieux) reflète le peu dintérêt que la Recherche universitaire et le public français en général ont porté à luvre dArthur Miller depuis les jours glorieux de Salesman et de The Crucible. On remarquera que seules ces deux pièces sont citées. Le silence qui est fait sur toutes les autres empêche de comprendre lhomme et lévolution de son oeuvre.
1 Voir mes articles : The modernity of Arthur Miller : the mutation of the tragic hero after Eugene ONeill. Confluences VII. Presses universitaires de Paris X-Nanterre, 1993. et Judéité, Judaïsme et Psychanalyse chez Arthur Miller. Parcours judaïques. Presses universitaires de Paris X-Nanterre, 1994.
2 The Ride Down Mount Morgan (1991) ; The Last Yankee (1993) Broken Glass (1994); Mr PetersConnections (2000).; Plain girl, A Life ( 1995)
3 Près de 30 pièces de théâtre publiées et jouées ; The Theatre Essays (1977), Echoes down the Corridor (2000), Politics and the Art of Acting (2001). Ces deux derniers ouvrages sont seulement cités dans mon livre.
4 Focus ( 1945) , The Misfits ( 1957) , The Collected short stories (1967) , la novella, Plain girl, a life (1995).
5 The American Clock , act I., pp. 37-38. London : Methuen, 1983
6 Freuds Moses : Judaism terminable and interminable. Yale University Press, 1991. Le Moise de Freud. Judaisme terminable et interminable : p. 41. Paris : Gallimard, 1993
7 W.D. Sievers. Freud on Broadway . New York : Hermitage, 1955.
8 Je ne suis pas théologienne, mais tout le monde aura compris que je considère le terme « dogme » dans son acception la plus large, celle du dictionnaire qui ne limite pas son usage au champ de la religion chrétienne.
9 Neil Carson. Arthur Miller : p. 154. NewYork : Grove, 1982.
10 Terry Otten. The Temptation of Innocence in the Dramas of Arthur Miller.: Preface p. XII. University of Missouri Press. Columbia, Missouri, 2002
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