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Guy Davenport (1927-2005) "L'érudition débute comme l'acte critique d'un regard amoureux : la curiosité est une passion." (« The Scholar as Critic ») Guy Davenport est mort le 4 janvier, à l'âge de 77 ans. Pour moi, c'est la fin de quinze ans d'amitié, au sens où le facteur ne viendra plus m'apporter ces lettres plus ou moins mensuelles postées à Lexington, Kentucky. Comment désormais oublier la dernière phrase de sa dernière lettre : « If I could think of something else to say, I would not have the strength to type it » ? Ces dix-huit mots dessinent un point final. La vie qu'il a menée n'est autre que celle de ses lectures, celle de sa passion à faire partager ce qu'il avait lu quand on se rendait chez lui, on pouvait facilement croire que les murs étaient faits de livres. Jamais il n'a cessé de transmettre son goût de la lecture, sa curiosité pour les détails, l'histoire du monde une histoire qu'il ne cessait de reconstruire sous la forme de ce qu'il appelait des « fictions nécessaires », recombinant certains éléments de ses lectures, créant des liens entre ces éléments afin d'expliquer le passé, tentant d'éloigner, d'écarter, comme il l'a écrit, le barbare chez l'homme :
Après une thèse sur Ulysse de James Joyce en 1949 (la première sur ce livre à avoir été soutenue à Oxford), puis une autre sur Ezra Pound, Guy Davenport, professeur de littérature à l'université du Kentucky, a été illustrateur de Hugh Kenner (The Stoic Comedians: Flaubert, Joyce, Beckett) et de ses propres livres, peintre (son atelier contient des centaines de toiles), traducteur du grec ancien (Sapho, Archilochos, Héraclite, etc.), poète ; à 47 ans il publie un premier recueil de nouvelles, qui sera suivi par 8 autres, ainsi que 6 volumes d'essais. Il est parfois difficile de faire la différence, chez Davenport, entre la nouvelle et l'essai ; peut-être pourrait-on dire que, si les nouvelles contiennent presque toujours des personnages et des événements réels, il y a rarement de la fiction dans les essais. Il s'est toujours considéré « comme un styliste mineur en prose » et n'est que très rarement sorti de Lexington pour parler de son uvre, bien qu'il ait beaucoup voyagé en Europe. Il ne conduisait pas, et c'est en allant à l'université à pied qu'il préparait ses cours ; c'est en revenant chez lui qu'il transformait ses cours en nouvelles ou en essais. Un peu comme lorsqu'on lit Borges, lire Guy Davenport ouvre sur une éducation complète du lecteur ; son immense érudition, loin d'écraser le lecteur, peut l'entraîner, comme cela s'est passé pour moi, dans une spirale infinie de découvertes, d'auteurs souvent très éloignés des canons habituels de l'histoire littéraire. Pour un lecteur curieux qui accepte de se laisser entraîner, lire Guy Davenport peut très bien remplacer une culture universitaire, il n'explique pas, ne présente aucune théorie, il rassemble des fragments en une sorte de kaléidoscope dans lequel on peut parfois avoir l'impression de se perdre mais qui finit par faire apparaître une vision cohérente du monde et des artistes qui en ont donné une image, de ceux qui ont tenté de soulever un peu le voile avec lequel la nature dissimule ses secrets. Aujourd'hui, en tentant d'écrire ces quelques lignes d'hommage, je le vois assis dans le gros fauteuil de son salon, entouré de livres, de peintures et de photographies, écoutant avec énormément de gentillesse ce que je pouvais avoir à dire, s'offusquant un peu quand j'émettais une trop grosse bêtise, répondant à mes questions, se lançant dans des digressions sur tous les sujets possibles, tous plus passionnants les uns que les autres ; je l'entends m'expliquer que, dans The Dawn in Britain, Doughty n'avait utilisé que des mots d'origine saxonne, me parler de Walter Savage Landor, de Pyrrhon ; je me souviens des heures passées sur un bateau à aubes, avec nos compagnes, Bonnie Jean Cox et Catherine Goffaux, à remonter la Kentucky River, de la visite du village shaker de Pleasant Hill, d'une très longue discussion sur la phrase de Mother Lee Ann : « Every force evolves a form ». Je me souviens également des heures passées à parler de vocabulaire, à aiguiser notre palette, sans oublier les pages d'explications étymologiques en réponse à mes questions de traducteur. L'uvre de Davenport est faite d'une invention verbale incessante, d'humour, de phrases aussi ciselées que celles de Louis Zukofsky, de William Gass, de Donald Barthelme et de Harry Mathews, de textes qui entraînent le lecteur dans une recréation de l'histoire et de la langue telle qu'il en existe peu. uvres de Guy Davenport Fiction Tatlin! (Charles Scribner's Sons, 1974 ; Baltimore et Londres : Johns Hopkins University Press, 1982). Tatline!, traduit par Robert Davreu (Paris : Christian Bourgois, 1991). Da Vinci's Bicycle (Baltimore et Londres : Johns Hopkins University Press, 1979, 1982). La Bicyclette de Léonard, traduit par Sophie Mayoux et Paul Rosenberg (Paris : Christian Bourgois, 1991). Eclogues (San Francisco : North Point Press, 1981 ; Londres : Picador, 1984). Apples and Pears (San Francisco : North Point Press, 1984). The Jules Verne Steam Balloon (San Francisco : North Point Press, 1987). The Drummer of the Eleventh North Devonshire Fusiliers (San Francisco : North Point Press, 1990). A Table of Green Field (New York : New Directions, 1993). Une table de verts pâturages, traduit par Bernard Hpffner (Paris : Éditions Joëlle Losfeld, 2003). The Cardiff Team (New York : New Directions, 1996). The Death of Picasso (Washington, DC : Shoemaker & Hoard, 2003). (Reprend la plupart des nouvelles que Davenport aurait aimé faire passer à la postérité.) Essais Cities on Hills : A Study of I-XXX of Ezra Pound's Cantos (Cambridge, MA : Harvard University, 1961 ; Ann Arbor, Michigan : UMI Research Press, 1983). The Geography of the Imagination (San Francisco : North Point Press, 1981 ; Londres : Picador, 1984 ; New York : Godine, 1997). Every Force Evolves a Form (San Francisco : North Point Press, 1987 ; Londres : Secker & Warburg, 1989). A Balthus Notebook (New York : The Ecco Press, 1989). The Hunter Gracchus, and Other Papers on Litterature and Art (Washington, D.C. : Counterpoint, 1997). Objects on a Table (Washington, D.C. : Counterpoint, 1998). Poésie Flowers and Leaves (Highlands, NC : Nanthala Foundation / Jargon Society, 1966 ; Bamberger Books, 1991). Thasos and Ohio: Poems and Translations, 1950-1980 (Manchester : Carcanet, 1985 ; San Francisco : North Point Press, 1986). Traductions 7 Greeks: Archilochos, Sappho, Alkman, Anakreon, Herakleitos, Diogenes, Herondas, New York, New Directions, 1995. The Logia of Yeshua, (en collaboration avec Benjamin Urrutia), Washington, DC, Counterpoint, 1996. Nouvelles, essais et poèmes, traduits par Bernard Hpffner, dans La Main de Singe, n° 1 à 13 (1991-1995), dans Agone, n° 11, 1993, et dans La Revue des Deux Mondes, n° 2, février 2003. Sur Guy Davenport Erik Anderson Reece, A Balance of Quinces: The Paintings and Drawings of Guy Davenport, New York, New Directions, 1996. Bernard Hpffner, Guy Davenport: LUtopie localisée, Paris, Belin, Voix américaines, 1998. ainsi que quelques textes de lui en anglais et en français sur le site suivant: http://wvorg.free.fr/hoepffner/intro.html |
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