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En mémoire de Robert Creeley THE END Le 30 mars à laube, Robert Creeley, une des voix majeures de la poésie américaine depuis les années 1950, sest éteint à Odessa (Texas) à lâge de 78 ans, des suites dune pneumonie. Il se trouvait à Marfa (Texas) pour un séjour littéraire de deux mois sous légide de la Lannan Foundation. La nouvelle de son décès a fait le tour du monde et la longue liste darticles de journaux relatant sa mort répertoriés sur son site Internet est éloquente. Les remerciements et les hommages dartistes, damis ou simplement de lecteurs admiratifs sont nombreux et témoignent de son talent et de son impact sur ses contemporains. Né en 1926 à Arlington, dans le Massachusetts, Creeley a toujours été attaché à la Nouvelle Angleterre : «he remained, in sensibility if not in geography, a New Englander throughout his career» [2]. Pourtant Creeley nen demeure pas moins un grand voyageur avide de découverte qui vécu entre autre en Espagne (à Majorque), en France (à Aix-en-Provence) en Californie (Bolinas, San Francisco), au Nouveau Mexique (Albuquerque) et au Guatemala. Après avoir abandonné ses études à Harvard où il avait été admis en 1943, il part comme volontaire pour lAmerican Field Service en Inde. En 1950, sa rencontre avec Charles Olson marque non seulement le début dune correspondance épistolaire intense avec ce dernier (comme en témoigne un recueil de dix volumes édités par Georg F. Butterick), mais également son entrée dans laventure du Black Moutain College dont il sera un acteur fondamental (Il est le fondateur de la Black Mountain School of Poetry et fut directeur de la Black Moutain Review). Il y côtoie des artistes tels que John Cage, Robert Rauschenberg et Merce Cunningham et découvre la pratique de linterdisciplinarité, cette «compagnie» dont il a toujours souligné limportance et, même, la nécessité pour le développement de son écriture :
En 1962 il publie For Love : Poems 1950-1960 qui marque le véritable début de sa carrière littéraire. Ce volume sera ensuite suivi par The Finger (1968), Later (1979), Mirrors (1983), So There: Poems 1976-1983 (1984), Memory Gardens (1986), Windows (1990), Echoes (1994), Life & Death (1998), Just in Time: Poems 1984-1994 (2001). Son uvre poétique se développe parallèlement à des expérimentations en prose avec, pour résultat, des nouvelles (The Gold Diggers, 1954), un roman (The Island, 1964), ou encore des textes écrits en vue des collaborations avec des artistes et publiés sous le titre de Mabel : A Story and Other Prose (1976). La reconnaissance « officielle » du travail et du talent de Creeley a été tardive mais réelle : il a reçu entre autre The Lila Wallace/Readers Digest Writers Award, The American Award of Poetry et a été nommé New York Poet Laurate en 1989. Il connut finalement la consécration en 1999 avec le prestigieux Bollingen Prize of Poetry. Il sera enterré à Cambridge, Mass., concluant ainsi son voyage à son point de départ, dans sa Nouvelle Angleterre bien aimée. Lhéritage de Robert Creeley La disparition de Robert Creeley laisse un vide dans la littérature contemporaine. « His place in American poetry is enormous, » [4] souligne le poète Charles Bernstein, son ancien collègue à lUniversité de Buffalo (SUNY). Avec simplicité mais fermeté il a été le modèle dun changement radical du langage littéraire américain, notamment en soulignant comment la forme doit être lexpression du contenu : « Form is nothing more than the extension of content » [5], Creeley avait écrit à Olson dans une de ses lettres et ce dernier reprendra cette formule dans son manifeste Projective Verse en la rendant par la même célèbre. Cette idée de composition organique, et la réévaluation de la forme quelle implique, saccompagnent chez lui dun intérêt pour lactivité de lartiste, pour son travail avec les matériaux et pour sa composition spontanée. Jackson Pollock et Charlie Parker en deviennent les symboles pendant les années 1950. En suivant le modèle de ses deux « héros » Creeley essayera dappliquer les techniques de la création immédiate et spontanée au niveau de lécriture, qui le conduira à au refus de toute idée a priori sur lacte créatif. Son rapport direct avec son matériel, les mots, sera une influence majeure pour toute une génération de poètes. Creeley était un écrivain qui voulait « vivre dans ses mots » et pénétrer dans le flux du langage en se laissant emporter. Dans les mots lécrivain trouvait sa paix. Ecrire devient alors une nécessité, comme le souligne William Carlos Williams dans ces vers de The Desert Music que Creeley cita à plusieurs reprises :
Cette urgence de lexpression et la nécessité décrire pour prendre conscience de sa réalité dindividu, sont également les signes de lhumilité littéraire de Robert Creeley. Dans un de ses derniers cours à luniversité de Brown auxquels jai eu le privilège dassister, il affirmait : « Too often the poet is interested in being a poet rather than writing poems ». Sa carrière, son uvre et sa vie ont été sans cesse guidés par ce constat. Cette absence de prétention le menait en même temps à se poser constamment des interrogations sur la nature de la création poétique. Linterrogation était une caractéristique de sa recherche littéraire par laquelle il explorait la structure de cette machine complexe quest le poème, en essayant de comprendre ce qui se passait, concrètement, lorsque il écrivait. Ses poèmes, dont léconomie des mots et la concentration extrême de lémotion sont les traits inimitables, montrent comment, même dans la concision la plus intense, il est possible de donner à voir la complexité dune expérience, comme il le montre dans I Know A Man, peut-être son poème le plus connu et le plus étudié :
Robert Creeley a été, enfin, un artiste ouvert, toujours à la découverte dun autre horizon, dune autre perspective par rapport à son propre travail. Ceci se traduisait par sa générosité inconditionnelle et sa capacité déchanger le plus simplement du monde avec ses étudiants pour lesquels il se montrait dune disponibilité sans limites, mais aussi par ses collaborations avec des artistes de tous horizons : musiciens (Steve Lacy, Steve Swallow), photographes (Elsa Dorfman), peintres (Francesco Clemente, Alex Katz, R.B. Kitaj, Susan Rothenberg, Donald Sultan) ou sculpteurs (Jim Dine, John Chamberlain, Cletus Johnson). Cette activité collaborative, conséquence de louverture de Creeley à ce qui est différent et en cela intéressant, est son plus grand enseignement : le fait que lart reste un plaisir, une activité qui ne se fait pas en sisolant du monde, mais en se plongeant dans le monde, avec les autres, et en se laissant guider par sa passion : « There is no longer much else but ourselves, in the place given us. To make that present and actual for other men, is not an embarrassment, but love.» Robert Creelys homepage : Images, liens vers des autres sites utiles, oeuvres en ligne, collaborations, Memorial sites. Elsa Dorfmans website : Images, poèmes en ligne, liens vers des autres sites. Site des éditions New Direction : ouvrages de Creeley. Memorial site : un des plus riche et intéressants en commentaires de personnalités du milieu littéraire. Notes 1 - R. Creeley, Mabel : A Story and Other Prose. London: Marion Boyars, 1976)170. 2 - B. Oakes, Legendary Poet Robert Creeley Dies. 3 - R. Creeley, conversation avec Bruce Jackson. 4 - Ch. Bernstein cité sur le site cbs4boston.com. 5 - R. Creeley, lettre à Charles Olson, 5 juin 1950 in George Butterick (ed.), The Complete Correspondence, Vol. I (Santa Barbara: Black Sparrow Press, 1980), 78-79. 6 - W. C. Williams, The Desert Music, cité par R. Creeley dans The Creativein Donald Allen (ed.), Was That a Real Poem and Others Essays (Bolinas [California]: Four Seasons Foundation, 1964). 7 - R. Creeley. "I Know a Man", The Collected Poems of Robert Creeley 1945-1975 (Berkeley: University of California Press, 1982), 132. |
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R. Creeley, lecture au "Rose Art Museum" (Brandeis University, Boston), 17 novembre 2004. Cette lecture avait été organisée pour célébrer la dernière collaboration entre Creeley et Clemente, Tandori Satori and Commonplace (les tableaux en arrière-plan sont de Clemente). ©Barbara Montefalcone, 2005 |
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