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Varia La rivalité Paris/New York à travers les expositions récentes duvres françaises et américaines. Quelques remarques. Sophie Le Cam
rrrrrrAu cours de lannée 2002, le Musée Maillol à Paris a abrité une exposition consacrée aux uvres récentes de Robert Rauschenberg (Fondation Dina Vierny Musée Maillol, du 6 juin au 14 octobre 2002). Cette dernière souvrait sur une présentation de lartiste remettant en cause sa victoire de lépoque. Il aurait, selon le terme employé par les organisateurs, « usurpé » le Grand Prix à lartiste français François Bissière. La remarque faite à loccasion de cette exposition témoigne de la persistance avec laquelle certains protagonistes du monde de lart nont cessé, jusquà aujourdhui, denvisager les rapports entre Paris et New York sous un angle conflictuel. Si cet aspect est souvent ignoré, la « rivalité » entre les deux métropoles reste en effet vivace, malgré les dénégations, sincères ou intéressées, des acteurs concernés. Les analyses relatives aux tensions franco-américaines dans le domaine artistique portent en majorité sur des faits antérieurs, les éventuels antagonismes persistant actuellement faisant lobjet de brèves allusions. Le rappel de ces clivages contribue pourtant en soi à entretenir une certaine défiance entre les deux univers. Ce phénomène est notamment perceptible à travers les expositions présentant côte à côte des uvres dartistes français et américains. rrrrrrLes expositions soulignant les similitudes et différences entre uvres américaines et françaises appartenant à des courants non contemporains entendent le plus souvent démontrer quel groupe dartistes, américain ou français, a eu la primauté dinfluencer lautre et de marquer lhistoire de lart en général. Cest au début des années 50 que ce procédé est apparu pour la première fois dans un esprit de confrontation. Les polémiques entourant lexposition Young Painters from US and France organisée en 1950 par Leo Castelli à la galerie Sidney Janis sont caractéristiques. Une quinzaine de rapprochements furent alors établis entre peintres de lÉcole de Paris et peintres de lÉcole de New York, en particulier entre les uvres de Pierre Soulages et Franz Kline, comparaisons qui continuent actuellement à faire lobjet de multiples analyses, voire de débats. Depuis lors, de nombreuses expositions ont offert la possibilité de comparer lévolution de la création artistique de part et dautre de lAtlantique, selon des approches et à des fins variées. Depuis la seconde moitié des années 90 le phénomène a cependant pris une nouvelle dimension. À une époque où les rapprochements entre les univers artistiques français et américains croient en nombre et en ampleur une structure comme FRAME est là pour en témoigner et où lintérêt respectif des publics américains et français pour toutes les formes et toutes les périodes de lart existant outre-Atlantique se développe François Brunet en a traité un de ces aspects dans cette même revue sous le titre « Lart américain davant Pollock est-il à la mode ? » il est dautant plus surprenant que les parallèles effectués entre artistes français et américains soient en réalité autant de prétextes à les opposer. rrrrrrL'exposition De Klein à Warhol Face-à-face France/États-Unis présentée au Musée dArt moderne et dart contemporain de Nice au cours de lhiver 1997-98 et qui a rassemblé des uvres françaises et américaines du Centre Georges Pompidou et du Musée dArt moderne et dart contemporain de Nice illustre bien lapproche ambivalente de ces événements actuellement en voie de multiplication. Comme il est dit en introduction du catalogue accompagnant lexposition, lobjet essentiel de cette dernière est dévoquer « les échanges artistiques entre la France et les États-Unis autour du Nouveau Réalisme et du Pop Art », et ce, dès le début des années 50 où se forme le groupe français. Le ton adopté par les organisateurs de lexposition et rédacteurs du catalogue, Sophie Duplaix et Gilbert Perlain, trahit cependant une volonté de réaffirmer loriginalité de la création artistique française de lépoque et de réagir aux propos antérieurs de la critique américaine, selon eux chauvins : « Bien que lapport français, dans la diversité de ses démarches, apparaisse particulièrement novateur, il semble quune grande partie de la critique américaine nait pas été disposée à en reconnaître loriginalité. Ainsi Lucy Lippard qualifie de « laborieuse et fortement surréaliste » la participation en 1962 des Nouveaux Réalistes à lune des premières expositions new-yorkaises où ils figurent en bonne place aux côtés des Américains, à la Sidney Janis Gallery ; dans le même esprit, Irving Sandler affirme, de façon plus générale, que les Nouveaux Réalistes « nont pas particulièrement impressionné les milieux new-yorkais.» Il convient de conserver toute fois une certaine distance vis-à-vis dun phénomène qui, en définitive, nest pas propre à cette période, mais traverse lhistoire des rapports entre la France et les États-Unis depuis laprès-guerre. » [13] Cette dernière remarque suggère que les relations artistiques entre les deux pays demeurent entachées de rivalités, et afin de justifier de la crédibilité de leur propos, Sophie Duplaix et Gilbert Perlain incluent dans le catalogue un entretien avec Pontus Hulten, de nationalité suédoise et témoin privilégié des développements artistiques de lépoque. Ils font ainsi une allusion plus directe à la motivation profonde de cette exposition : dénoncer le nationalisme excessif de certains Américains à travers « ( ) une lecture nuancée dune époque où domine essentiellement, côté américain, une critique triomphaliste. » [13] Il apparaît que cest linterprétation qui est donnée de ces expositions qui, pour une grande part, transforme ces mises en apposition duvres en confrontations. rrrrrrCest un constat récurrent sur lequel nous reviendrons à propos dexpositions plus récentes. Ainsi, si certains observateurs tel que Robert Rosenblum ont vu à travers lexposition De Klein à Warhol Face-à-face France/États-Unis un dialogue entre artistes français et américains établi dans un esprit déchanges amicaux, plus nombreux ont été les commentaires des critiques cautionnant lidée dune confrontation perdurant dans le domaine artistique entre la France et les États-Unis. Même si cette volonté de rétablir la valeur des artistes français, trop souvent dévalorisés par la critique américaine selon ces derniers, concerne une époque révolue, il est un fait quelle constitue un aspect des relations actuelles. Dans un article intitulé « Nice et Beaubourg: un pont sur lAtlantique », le critique journaliste Damien Sausset insiste sur le fait que le principal apport de cette exposition est de donner une vision nouvelle de limportance réelle de la création des Nouveaux Réalistes : « ( ) la réussite de cette exposition réside dans sa volonté de démontrer combien les uvres dArman, de Raysse, de César, de Dufrêne, de Hains et de Klein témoignent dune résistance à la représentation figurative qui anime alors les uvres américaines. Le poids excessif de lart américain de ce début des années 60 se trouve soudain relativisé, comme oblitéré par la capacité des artistes français à ouvrir leurs uvres au regard subjectif des spectateurs. » [27] Il donne un exemple concret de leffet obtenu par la mise en présence de ces uvres françaises et américaines des années 60. Lexposition face-à-face de luvre de Claes Oldenburg Cemetery Flag (1960) et de Jacques de la Villeglé les Affiches Lacérées (1950) permet selon lui de mesurer « les écarts qui existent entre ces Nouveaux Réalistes qui nhésitent pas à tenter sans grand succès, de conquérir le marché américain et des artistes new-yorkais qui, souvent, jugent la production française trop sentimentale. » rrrrrrLoin de sestomper, ce phénomène a donc pris une dimension supplémentaire en ce début de XXIème siècle avec des expositions denvergure internationale telles que Les Années Pop 1956-1968 et Paris Capitale des Arts 1900-1960. La présentation duvres dorigines diverses a permis détendre les analyses comparatives aux artistes européens afin de mieux justifier des rectifications entamées à légard des artistes français. rrrrrrPrésentée au Centre Georges Pompidou du 15 mars au 18 juin 2001, Les Années Pop 1956-1968 revient par ce biais sur les tensions liées à lémergence des artistes du groupe des Nouveaux Réalistes et du Pop Art. Rédigé par Jean-Jacques Aillagon, alors Président du Centre Georges Pompidou, lavant-propos qui ouvre le catalogue de lexposition nest daucune ambiguïté à cet égard. Lun des buts essentiels de la manifestation est de rappeler limportance du rôle joué par les artistes européens, et en particulier français, dans lémergence du mouvement Pop Art. À travers un essai intitulé « Nouveaux Réalismes et Pop Art », Catherine Grenier, commissaire générale de lexposition, souligne lapport essentiel, voire fondateur, des Nouveaux Réalistes au mouvement Pop Art. Sans exclure la participation des artistes américains au développement du groupe des Nouveaux Réalistes dans les années 50, Catherine Grenier entend démontrer que ce mouvement est bien antérieur au mouvement Pop Art apparu dans les années 60. Elle étaye son argumentation en précisant comment de nombreux artistes américains, tels que Robert Rauschenberg et Jasper Johns ont utilisé des techniques créées par les artistes français. Aussi radicale soit elle, la perspective voulue par Catherine Grenier nest pas aussi marginale quelle pourrait le sembler aux yeux de certains spécialistes. rrrrrrAlain Jacquet, artiste français ayant évolué sur la scène artistique de lépoque tient des propos similaires. Tout en évoquant lintensité et la richesse des échanges entretenus par les artistes français et américains, il insiste sur la nécessité de « remettre les pendules à lheure » et de démontrer que le Pop Art nest pas « un phénomène exclusivement américain. » Il estime par ailleurs important de prendre en compte les effets de la politique étrangère américaine de lépoque qui visait à augmenter linfluence des États-Unis en Europe par des voies culturelles et artistiques. À la lumière de cet exemple, il apparaît que des personnalités ayant eu une expérience concrète de ces événements y demeurent sensibles, exprimant leur volonté de revenir sur des aspects litigieux. Ils participent ainsi à faire perdurer un débat commencé de longue date. rrrrrrAutre exposition récente ayant contribué à rappeler les nombreux clivages ponctuant les relations artistiques franco-américaines, et sur lequel il convient donc de sarrêter, Paris Capitale des Arts 1900-1960 (Royal Academy of Arts, Londres, du 26 janvier au 19 avril 2002 et Guggenheim Museum, Bilbao, du 21 mai au 3 septembre 2002). La dimension internationale de celle-ci est dautant plus marquée quelle na pas été organisée sur une initiative française ou américaine. Présentée successivement à Londres et à Bilbao dans le courant de lannée 2002, elle témoigne dune généralisation de lintérêt soulevé par cet aspect des rapports franco-américains. Sarah Wilson, lun des commissaires principaux de lexposition, analyse à plusieurs reprises les tensions apparues entre les protagonistes français et américains au cours des années 60. Figurait par ailleurs dans le catalogue de lexposition un essai rédigé par Eric de Chassey dont le titre « Paris New York : rivalités et dénégations » est, à lui seul, révélateur de la perspective dans laquelle lexposition a été conçue. Son évocation des rapports conflictuels entretenus par les acteurs des scènes artistiques française et américaine depuis laprès-guerre jusquà la fin des années 60 se conclut sur cette remarque à propos de létat actuel des relations franco-américaines : « [À la fin des années 60] alors que les expositions consacrées aux artistes américains se multipliaient à Paris, les artistes français éprouvaient des difficultés à exposer leurs uvres aux États-Unis. Demblée, leur art était considéré comme provincial : trop français. Un préjugé quil faut encore assumer. » [350] Une nouvelle fois il est suggéré que les rivalités passées demeurent inscrites dans les esprits. rrrrrrÀ défaut dun réel sentiment danimosité, il subsiste sans aucun doute une grande sensibilité à légard de ce qui est décrit comme le déplacement du centre de lactivité artistique mondiale de Paris vers New York. Malgré son caractère antérieur, cest sans doute parce quelle continue à avoir des conséquences sur la nature des relations actuelles que cette question conserve un caractère contemporain. Une autre raison justifiant la pérennité de cette rivalité est la multiplication de ses implications. À limage des travaux de Serge Guilbaut ou de lAméricaine Laurie J. Monahan, ces expositions ont été loccasion dévoquer, voire de mettre en exergue comme lont notamment fait les organisateurs de Paris Capitale des Arts 1900-1968 les enjeux politiques sous-jacents au contexte artistique. Sil est quasiment indéniable quassurer la prééminence artistique de New York a été lun des moyens utilisés à lépoque par le gouvernement américain pour sélever contre lexpansion du communisme en Europe, il est difficile dévaluer le rôle sil existe attribué de nos jours par les politiques à lart dans la défense des intérêts nationaux. Cest en effet aujourdhui avant tout vers les sphères financières et économiques que lessentiel des rapports concurrentiels se sont déplacés. rrrrrrSi pendant très longtemps, les acteurs français, quils soient artistes, marchands ou responsables officiels, ont dans leur majorité ignoré limportance des enjeux économiques, depuis la fin des années 90 ils semblent avoir progressivement pris en compte la nécessité dans laquelle ils se trouvaient de simposer face aux États-Unis sur le terrain commercial. Depuis lexposition Les Années Pop 1956-1968 au début de lannée 2001, beaucoup dobservateurs ont mis en exergue le clivage existant entre les artistes français et leurs homologues américains, non seulement en terme de notoriété mais aussi de cote sur le marché. Même si les comparaisons effectuées mettent surtout en lumière le « fossé » qui existe entre la valeur monétaire des uvres des artistes des deux nations, elles sont néanmoins une preuve de la nouvelle approche des protagonistes français à lencontre de la vraie valeur des uvres sur le marché. Suite à lengouement, bien que limité au contexte parisien, suscité par la vente « Manifeste pour la Nouvelle Figuration » organisée le 4 février 2002 par les études Poulain-Le Fur et Robin Fattori, cette volonté de se mesurer sur un terrain jusque là négligé sest affirmée. Si, à cette occasion, la plus haute enchère a été atteinte avec une toile dAndy Warhol, les uvres des artistes Pop américains nont généralement pas emporté un succès à la mesure de celui habituellement connu, et cest surtout lélévation de la cote des artistes français qui aura été retenue. Cest donc dun point de vue avant tout économique que la rivalité artistique entre Paris et New York si tant est quelle subsiste est appelée à évoluer de manière significative, et ce dautant plus depuis la disparition du monopole des commissaires-priseurs français. Avec louverture du marché français aux maisons anglo-saxonnes, professionnels français et américains sont en effet directement confrontés, donnant une nouvelle dimension à la « rivalité » artistique entre les deux métropoles. Références American Artists in the American Ambassadors Residence in Paris, Paris, Jeanne Greenberg Art Advisory, 1998. |
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