Transatlantica 4/ 2004
H. Richard UVILLER and William G. MERKEL. The Militia And The Right To Arms, Or, How The Second Amemndment Fell Silent. Durham, NC, Duke University Press, 2002. ISBN: 0-8223-3017-2 $19.95. Lu par Elisabeth BOULOT (Université de Marne-la-Vallée). Louvrage du professeur Uviller et de William G. Merkel apporte une nouvelle contribution au débat sur le second amendement. Un débat qui sest développé parmi les historiens et les juristes depuis la parution, en 1991, dun article de S. Levinson dans lequel ce dernier déplorait le peu dintérêt accordé par les tribunaux et les chercheurs au second amendement. La thèse défendue par les auteurs est la suivante : que lon soit un farouche partisan du contrôle de la vente et de la détention darmes à feu ou, que lon revendique, au contraire le droit de posséder et de porter une arme parce que sest une liberté fondamentale, le second amendement du Bill of Rights ne peut servir de fondement pour justifier que lune ou lautre de ces opinions est conforme à la Constitution des Etats-Unis. Protéger ce droit ou le réglementer en imposant les restrictions jugées nécessaires, appartient au législateur ou requière quun nouvel amendement soit voté et ratifié. En effet si le second amendement reconnaît bien le droit du peuple de posséder et de porter des armes, ce droit nest accordé que dans les circonstances précisées par la première partie de la phrase, cest à dire la nécessité dassurer la sécurité de la nation grâce à une milice bien organisée. Cette interprétation est dailleurs celle qui a été le plus souvent adoptée par les juges de la Cour suprême dans les rares arrêts quils ont rendus sur cette question (ils sont examinés dans le chapitre 1). Aujourdhui la sécurité des Etats-Unis est assurée par des moyens très différents de la milice telle que la concevaient les Pères Fondateurs, cest pourquoi cet amendement est, selon les auteurs, obsolète au même titre que le troisième. Louvrage est divisé en trois parties : la première permet au lecteur de découvrir ou de mieux connaître les fondements historiques de la pensée politique dun bon nombre de révolutionnaires américains en ce qui concerne la manière dassurer la défense nationale et la façon dont cette pensée a évolué entre le moment où lindépendance a été déclarée (1776) et celui où le Bill of Rights a été voté et ratifié (1791). La seconde partie permet de suivre les différentes étapes de lhistoire de la milice et les raisons pour lesquelles elle est tombée en désuétude puis a été remplacée par dautres organismes bien différents, de par leur composition et leur rôle, de la milice créée à la fin du dix-huitième siècle. Dans la troisième partie les auteurs expliquent et justifient limportance quils attachent au texte du second amendement ainsi quau contexte politique, historique est social dans lequel il a été élaboré et adopté ; ils examinent ensuite linterprétation quen a fait un certain nombre de juristes et dhistoriens au cours de la dernière décennie, sattachant à souligner les raisons de leurs divergences avec le point de vue défendu par ces différents auteurs. Laffaire Emerson est évoquée dans le dernier chapitre. Avec minutie, rigueur et brio H. Richard Uviller et W. G. Merkel démontrent que dans la période qui précède la Déclaration dIndépendance, les colons américains partagent la méfiance des Whigs qui, en Angleterre, voient dans le maintien dune armée régulière en temps de paix une menace pour la démocratie parce que cette armée est à la solde du pouvoir royal. Les agissements de George III à lencontre des colonies ne font que conforter le bien-fondé de cette opinion ; la présence des troupes envoyées par le roi est dailleurs dénoncée dans le texte même de la Déclaration du 4 juillet 1776. En conséquence la jeune république, afin dassurer sa sécurité et de préserver ses institutions démocratiques décide de se doter dune milice composée de tous ses citoyens libres en âge dy remplir des obligations militaires qui seront précisées dans la loi votée par le Congrès en 1792 (Militia Act). Au cours de la Guerre dIndépendance, Washington se rend cependant vite compte que pour remporter la victoire, les Etats-Unis ont besoin dune armée régulière bien entraînée plutôt que dune milice composée de citoyens. Dautre part, le fait que, lors de la révolte de Shays les membres de la milice au lieu de tenter de rétablir lordre apportent leur soutien aux rebelles, suscite de nouvelles interrogations quant à son efficacité. Ceci explique que lorsque les Pères Fondateurs se réunissent à Philadelphie en 1787, ils décident de doter le chef de lexécutif et le Congrès de pouvoirs étendus dans le domaine militaire. Le texte du second amendement, comme en témoignent les débats au Congrès dans les extraits cités par les auteurs, révèle à la fois la persistance de cette méfiance à légard dune armée régulière et le souci des anti-fédéralistes de rétablir un équilibre entre les pouvoirs militaires accordés à lEtat fédéral dans la nouvelle constitution et la souveraineté des Etats fédérés, afin que lEtat fédéral devenu trop puissant, à leurs yeux, ne puisse être tenté de désarmer les unités de la milice sous le contrôle des Etats. Dans le Fédéraliste n°46, Madison se dit convaincu que la milice pourra avec efficacité assurer la sécurité commune tandis quHamilton, à maintes reprises, se déclare partisan du maintien dune armée régulière. H. Richard Uviller et W. G. Merkel soulignent quaucun des documents examinés ayant trait au vote et à la ratification du second amendement ne fait référence à lopportunité de protéger un droit individuel de posséder ou de porter les armes. Le droit qui est affirmé dans le Bill of Rights est un droit collectif protégé dans le cadre de laccomplissement dun devoir civique : celui dassurer la sécurité commune. La loi de 1792 précise les pouvoirs délégués aux Etats quant au service des citoyens dans la milice, les convie à encourager la participation de tous à ces obligations militaires et indique la durée maximum de ce service. En 1808, le Congrès vote un budget de 200 000 dollars lan pour que les Etats puissent acheter une arme aux citoyens qui nont pas les moyens den faire eux-mêmes lacquisition. Les auteurs sattachent ensuite (chapitres 4, 5 et 6) à montrer pourquoi cette milice composée de citoyens-soldats, conçue comme le meilleur type de force militaire destinée à préserver à la fois la sécurité de tous et lidéal républicain, ne va pas résister à lépreuve des différents conflits auxquels les Etats-Unis sont confrontés au cours du dix-neuvième siècle. Les difficultés sont de deux ordres : tout dabord les citoyens eux-mêmes sont peu à peu de moins en moins enclins à se soustraire à leurs activités professionnelles pour assurer ce service et par conséquent sont peu ou mal entraînés ; dautre part, dès la seconde Guerre dIndépendance malgré les faits darmes dont peut senorgueillir la milice, le recours à des forces régulières est considéré comme décisif pour parvenir à la victoire. Au moment de la Guerre de Sécession, les Etats confédérés ont recours à la conscription afin de pouvoir mobiliser des troupes en grand nombre très rapidement et les nordistes sy résolvent, lappel aux volontaires étant insuffisant ; la loi de 1792 est dailleurs amendée à cet effet. A la fin du dix-neuvième siècle le théâtre des opérations est situé hors des limites du territoire des Etats-Unis ; cette situation nouvelle soulève la question de la légalité du service des membres de la garde nationale composée de volontaires, qui a peu à peu remplacé la milice dantan depuis les années 1870 ; une loi votée en 1903 abroge celle de 1792 et définit la garde nationale comme une milice active. La question du service de ces réservistes aux côtés de larmée régulière en dehors des frontières des Etats-Unis, ne sera résolue que par une loi votée en 1916 (National Defense Act) alors que lAmérique sapprête à participer à la Première Guerre mondiale. La garde nationale passe alors sous le contrôle du War Department à Washington et dès 1933, tout volontaire qui sengage dans la garde nationale fait également partie des réservistes de larmée américaine. Ayant ainsi retracé toutes les étapes qui ont conduit la nation à modifier lorganisation de sa défense, les auteurs en concluent que la garde nationale a aujourdhui un statut bien différent de la milice dautrefois. Tout dabord, seuls les citoyens volontaires en font partie ; de plus ils sont considérés comme réservistes de larmée régulière. Le rapport entre les pouvoirs militaires des Etats et celui de lEtat fédéral a été sensiblement modifié, au profit de ce dernier. Les récents événements montrent dailleurs que les craintes des anti-fédéralistes nétaient pas une vue de lesprit. Le contexte politique et social est aujourdhui bien différent et les Etats-Unis ont choisi dautres moyens dassurer leur sécurité, en conséquence le second amendement a perdu toute signification au même titre que le troisième. Dans la troisième partie H. Richard Uviller et William G. Merkel posent deux questions essentielles, à leurs yeux, à propos de linterprétation du second amendement aujourdhui : peut-on faire abstraction du contexte historique, politique et social dans lequel il a été élaboré et donner un sens différent à la première partie du texte du second amendement ou tout bonnement faire comme si celle-ci nexistait pas et déclarer que le droit du peuple à posséder et à porter les armes est un droit individuel au même titre que les droits contenus dans le premier, le quatrième, le cinquième, le sixième et le huitième amendement ? A ces interrogations, ils répondent par la négative en sappuyant sur de nombreuses références historiques et en insistant sur lévolution du contexte politique et social depuis le dix-huitième siècle quils ont retracé dans les chapitres précédents. Ils examinent ensuite la question de linterprétation du deuxième amendement à la lumière de celles qui ont été opérées par un certain nombre de leurs prédécesseurs : notamment S. Levinson (167-178), Carl Bogus (178-191), W. Van Alstyne (191-202), Akhil Reed Amar (202-209) et David Yassky (209-211). En défendant leur point de vue avec la pertinence que leur confère la connaissance des documents historiques, ils permettent également au lecteur de sinterroger sur les arguments utilisés par ceux qui sont davis que la signification du second amendement a évolué avec le temps, une « relecture » à laquelle les auteurs se refusent. Le dernier chapitre analyse lopinion du juge dune Cour de district du Texas et celle de la Cour dappel fédérale du 5ème Circuit dans laffaire United States v. Emerson que la Cour suprême a refusé de réexaminer. Que lon partage ou non le point de vue défendu par H. Richard Uviller et William G. Merkel, la lecture de cet ouvrage simpose pour plusieurs raisons : tout dabord à cause de la qualité de lanalyse de la pensée politique de la période où le second amendement a été adopté mais aussi par ce quil nous apprend sur lhistoire de la milice et des différences quelle présentait avec la garde nationale aujourdhui. Cet ouvrage enfin pose la question de lopportunité de donner au texte de cet amendement un sens différent de celui quil avait initialement et suscite notre réflexion sur un sujet pour le moins controversé. |
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