Transatlantica 3/ 2003
Alain SUBERCHICOT. Littérature Américaine et Ecologie. Paris : LHarmattan, collection Le Monde Nord-Américain Histoire Culture Société, dirigée par Pierre Lagayette, 2002, 257 p., 22 E. Lu par Marc Bellot (IUT de lOise).
Cest précisément cette longue et riche tradition littéraire américaine quAlain Suberchicot se propose dexaminer dans son ouvrage Littérature Américaine et Ecologie dans lequel il entreprend une analyse chronologique des uvres majeures qui jalonnent la pensée américaine de lenvironnement, depuis les philosophies de la nature héritées du transcendantalisme jusquaux écritures contemporaines qui tentent de penser les rôles respectifs que les espèces vivantes doivent occuper afin de préserver un environnement naturel de plus en plus fragilisé. Disons-le demblée, le but est atteint, et lauteur donne à voir un large panorama intellectuel qui autorise une meilleure appréhension des filiations, influences et lignes de forces majeures dans le tressage des pensées et des écritures denvironnement en Amérique. Dans sa phase de « constitution », lidée même denvironnement remonterait aux postulats émersoniens du transcendantalisme qui théorisent la valeur « intrinsèque » de la nature dans une tension dialectique avec la conscience individuelle du sujet. Cest Henry David Thoreau qui acclimatera les théories du transcendantalisme en posant dans ses Journals la question de la préservation de la nature, préfigurant ainsi les écrits des tenants de la préservation du milieu naturel, John Muir, Gifford Pinchot et John Burroughs. Avec ces auteurs se constitue une authentique écriture de lenvironnement qui installe dans le genre littéraire la question fondamentale de la place de lhomme dans le monde naturel. Avec John Steinbeck et Aldo Leopold, lidée denvironnement entre, selon lauteur, dans la phase de «consolidation», où lécriture se fait militante, comme pour exorciser la vieille culpabilité de lappropriation indue dune terre par essence rebelle à un productivisme qui éloigne de plus en plus la nation du consensus social hérité du pastoralisme jeffersonien. Cest à travers les écrits dAldo Leopold, qui découvre lunicité de lécosystème dans les yeux du loup quil était venu exterminer, que se fait jour la notion de « conservation ethic », une démarche de type religieux qui pose le principe dune nature intrinsèque pourtant engagée dans une opposition dialectique avec le sujet humain. Plus proche de nous, cette radicalité tend à samenuiser dans sa troisième phase que le lyrisme poétique de Wendell Berry illustre en sérigeant « en une conscience qui révèle la douleur et linscrit dans le paysage » (p. 164). Lécrivain recrée dans lécriture le sublime dune nature devant laquelle il a le devoir de seffacer. Avec Barry Lopez refait surface le rêve dintégration absolue du monde naturel dans une rhétorique religieuse qui postule la parité et la solidarité entre les humains et le monde naturel. Louvrage se clôt sur une très belle évocation de luvre dAnnie Dillard qui retrouve à travers les procédés littéraires une vision inspirée voire mystique dun ordre naturel sublimé dont lhomme est partie prenante. Les références à la conscience et à lintuition intellectuelle évoquent irrésistiblement Emerson dont les écrits sont sans doute les plus à même dexpliquer cette filiation religieuse qui irrigue les écrits denvironnement américains. Cest peut-être là que se situe le seul vrai manque de ce livre ambitieux et riche, dans la relative sous-évaluation dont fait lobjet la thématique religieuse dans les théories transcendantalistes de la nature : Emerson nécrivait-il pas « Therefore is Nature ever the ally of Religion : lends all her pomp and riches to the religious sentiment. Prophet and priest, David, Isaiah, Jesus, have drawn deeply from this source » (Nature, 1836), ou encore « The aspect of Nature is devout. Like the figure of Jesus, she stands with bended head, and hands folded upon the breast. The happiest man is he who learns from nature the lesson of worship [
] the noblest ministry of nature is to stand as the apparition of God" (Ibid.) ? La loi morale émersonienne que révèle la spiritualité de la nature naurait-elle pas inspiré lunivers moral de Barry Lopez, la notion d'éthique de préservation de la nature d'Aldo Leopold ou de Wendell Berry, «the passive soul» de H. D. Thoreau, voire «The Gospel of Nature» de John Burroughs ? Cette relative «laïcisation» de la culture écologique américaine ne saurait cependant faire oublier la richesse et l'originalité des analyses qui feront découvrir à bon nombre de lecteurs français la quintessence de la tradition littéraire américaine des écrits d'environnement qui rappellent inlassablement que «in the tranquil landscape [
] man beholds somewhat as beautiful as his own nature» (Emerson). |
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