Transatlantica 3/ 2003
Kenneth SILVERMAN. Lightning Man, The Accursed Life of Samuel F.B. Morse. New York : Knopf, 2003. 503 p., notes bibliographiques, ill., index, $35.00. Lu par François Brunet (Université Paris 7) Une documentation particulièrement riche (qui ne se limite pas à la prodigieuse collection des papiers de Morse, désormais disponible en ligne sur le site American Memory http://memory.loc.gov/ammem/sfbmhtml/sfbmhome.html ) permet à Silverman d'apporter des précisions inédites, notamment sur les aspects techniques, juridiques et financiers de l'odyssée du télégraphe électromagnétique. Lhistoire du câble transatlantique, en particulier, est retracée précisément. On ne trouvera pas toutefois dans cette nouvelle biographie la quatrième en un peu plus d'un siècle de révélations fracassantes. Tout au contraire, ce qui caractérise le style de Silverman est bien plutôt la sobriété, voire l'understatement : ainsi devant la question de la paternité "véritable" de cette invention "historique" entre toutes, de ses tenants (l'électromagnétisme) et de ses aboutissants (le câble transatlantique et la création du "village global"), question qui fut l'obsession de l'intéressé et la cause de ce que l'auteur appelle ici sa "malédiction". En approfondissant chacun des innombrables contentieux qui opposèrent linventeur à ses ennemis de toujours (comme Charles T. Jackson) comme à ses partenaires dun temps (ainsi Alfred Vail, voire Amos Kendall, ex-secrétaire dAndrew Jackson qui apparaît cependant ici comme lun des plus durables et véritables soutiens de Morse), Silverman suggère dans chaque cas ou presque que les responsabilités de cette malédiction furent partagées, et quelles renvoient surtout à linadaptation du cadre culturel et juridique à la dynamique de linnovation technique. Ainsi, par contraste avec l'ouvrage au demeurant excellent de Mabee, qui peignait à travers son champion Morse le tableau d'une (re)naissance culturelle américaine, Lightning Man brosse le portrait plus modeste, et parfois sordide, d'un homme torturé sa vie durant par d'insurmontables contradictions celles de sa culture et de son temps, pour l'essentiel, en quoi le "Léonard américain" passe du statut de héros à celui de témoin. Parmi les traits marquants du Morse de Silverman, on retiendra une culture et une ferveur calvinistes (le père, Jedediah, avait avant d'écrire sa célèbre Géographie été élu pasteur de la First Congregational Church de Charlestown, Mass., et le fils suivit un temps la même vocation) présentées ici comme surplombant toute la longue vie, publique et privée, de linventeur, son insistance à justifier ses titres dinventeur par les décrets de la Providence, et jusquà son étonnante et persistante froideur à légard de ses enfants et petits-enfants, ceux issus de son premier mariage surtout, qui ne connurent guère leur père et grand-père et dont plusieurs moururent tragiquement ou misérablement. Sans doute ce rude protestantisme de patricien saccorde-t-il moyennant un tempérament "foudroyant", selon le jeu de mot du titre avec la croisade anti-papiste quembrassa Morse dans les années 1830, notamment avec son pamphlet anti-irlandais Foreign Conspiracy et sa brève carrière de tribun populiste; et lon peut encore, à la rigueur, en retrouver le reflet dévoyé dans sa tonitruante campagne anti-abolitionniste et anti-Lincoln de 1861-65. Cependant il est frappant de constater, même si les faits étaient déjà bien connus, à quel point le peintre et inventeur nativiste, champion de lindépendance économique et culturelle américaine, American scholar sil en fut, resta obnubilé par lobjectif de la reconnaissance institutionnelle et académique, tant aux Etats-Unis (comme le montraient déjà ses deux plus grands tableaux, The House of Representatives et The Gallery of the Louvre) que sous les ors monarchiques du vieux monde, empires russe et ottoman compris. Si Carleton Mabee concluait déjà fort justement que toute invention est un "produit social", Kenneth Silverman tend à pousser beaucoup plus loin le déboulonnage de linventeur pour faire apparaître, en creux, un rôle plus crédible, mais aussi plus diffus et moins glorieux, de passeur (entre théoriciens, inventeurs et capitalistes, entre science et art, entre Europe et Amérique, voire entre Nord et Sud) dont lactivité la plus tangible consiste dans un travail de socialisation, dinstitutionnalisation, et, déjà, de mémoire de linvention et à travers elle dune culture américaine "moyenne" aspirant à la légitimité et à la prospérité. Il y a du Mr. Deeds dans ce Samuel Morse, et si, avec ses excès, le pathétique du personnage interdit aujourdhui toute adhésion naïve à sa quête, force est de constater que la valeur "représentative" que lui reconnaissait Allan Nevins demeure entière. |
|