Transatlantica 3/ 2003
Michaël OUSTINOFF et Christine RAGUET-BOUVARD, eds. Contraintes syntaxiques et liberté stylistique : le déplacement dans les éléments de la phrase. Palimpsestes n° 14. Revue du Centre de recherche en traduction et en communication transculturelle anglais-français / français-anglais (TRACT). Paris : Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2002. (2 volumes, 181p. & 37 p.) 16E 80. Lu par Monique DeMattia (Université de Provence). Ce volume se propose dapprofondir notre connaissance de ce domaine si vaste et complexe quest la traduction. Il aborde les difficultés rencontrées par tout traducteur, qui se doit de naviguer entre deux écueils majeurs, pour reprendre les termes de Michaël Oustinoff, serrer de trop près le texte original ou au contraire sen éloigner par souci délégance. Traduire savère donc une entreprise risquée. Le volume traite le sujet sous lun de ses aspects, très étendu, celui des déplacements des éléments dans la phrase. Loptique choisie est résolument pluridisciplinaire sans être éclectique, la plupart des disciplines représentées (traductologie, littérature, linguistique) sollicitant les autres, dans un échange fécond et harmonieux. Tous les articles tentent de mieux cerner les différents aspects de ce domaine quest la traduction, et évoquent tous la difficulté de traduire. Larticle de Jany Berretti par exemple analyse les traductions françaises dun extrait de « The Poetic Principle » dEdgar Allan Poe. De cette confrontation de traductions apparaît la nécessité de sinterroger sur la forme en ing, qui na pas déquivalent en français et contraint à des recompositions. Cest à la vaste question du discours rapporté et « des rapports entre le repérage des propos rapportés par rapport à lorigine assertive qui les prend en charge » que sintéresse larticle dHélène Chuquet, à partir dun corpus journalistique en version bilingue. Sont étudiées entre autres les ambiguïtés énonciatives qui apparaissent dans la restructuration imposée des énoncés dans le passage dune langue à lautre. Isabelle Génin quant à elle examine lapparente désorganisation syntaxique de certains énoncés-clés du roman de Herman Melville, Moby Dick. Sous cette apparente désorganisation syntaxique, ces énoncés présentent un fort potentiel iconique. Lauteur constate que le maintien de cette iconicité est rendu difficile par le passage dune langue à lautre. Cest au déplacement de circonstants de lieu et de temps dont la place dans lénoncé varie de langue à langue que sintéresse Geneviève Girard. Les choix opérés par le traducteur attestent les contraintes syntaxiques inhérentes à une langue mais révèlent aussi ses propres interprétations. Andrée May sinterroge pour sa part sur la nature et lorigine de lécart constaté entre les normes argumentatives des anglophones et celles des francophones, son analyse étant illustrée de quelques techniques dajustement dune langue à lautre, pour conclure sur les limites de la liberté stylistique. Les deux derniers articles concernent les adjectifs : Joan Bertrand se penche sur les regroupements dadjectifs dans une nouvelle dEdgar Allan Poe, « Ligeia » et propose en parallèle un commentaire sur les stratégies de la traduction de Charles Baudelaire ; Michaël Oustinoff étudie la place de ladjectif en anglais et montre que son antéposition lui confère une valeur particulière que sa postposition en français supprime. Même pour les adjectrifs les plus simples, lantéposition des adjectifs en anglais pose dimportants problèmes de traduction. Ce sont donc, au total, six articles de fond qui sont ici proposés. La table ronde offre également dautres approfondissements : les participants (Paul Bensimon, Michel Paillard, Serge Soupel, Françoise Vreck, ainsi que Michaël Oustinoff et Jany Berrety, déjà auteurs dun article), sintéressent plus particulièrement à la prolifération des adjectifs dans la nouvelle de Poe (« Ligeia »), surabondance constitutive du style de cette nouvelle. Sont mis en évidence les difficultés que posent les adjectifs dans la traduction ainsi que les déplacements syntaxiques auxquels ils donnent lieu. Il ressort, que passer dune langue à une autre, cest aussi passer dun texte à un autre et, comme le souligne Paul Bensimon dans une formule que lon retiendra, le traducteur « crée une nouvelle textualité, une textualité à part entière ». Au fond, la traduction serait toujours une réécriture. Cest au total un numéro à la fois dune très grande qualité et dune très grande richesse que nous offre la revue, où sallient enfin et sans jamais saffronter, des disciplines différentes, toutes mises au service de la traduction, dans une collaboration très réussie. Du traductologue au littéraire, en passant par le linguiste, anglophone ou francophone, chacun se reconnaîtra dans sa spécificité tout en ayant le sentiment de participer à une démarche scientifique commune. Cest là aussi ce qui fait tout lintérêt du volume. |
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