Transatlantica 4/ 2004
Vincent MICHELOT, L'Empereur de la Maison-Blanche, Paris, Armand Colin, 2004, 213 pages, Lu par Pierre Guerlain, Université Paris X Nanterre. Vincent Michelot, un spécialiste de la Cour suprême, offre ici un ouvrage d'analyse politique et constitutionnelle. Il s'intéresse tout particulièrement à la présidence des Etats-Unis et aux rapports de pouvoir ou de force entre le Président et le Congrès. Il propose dans sa première partie intitulée "Le couronnement : l'élection fait-elle la présidence" une analyse historique qui remonte à 1968 et donc à l'élection puis à la présidence de Richard Nixon. Son approche est davantage celle d'un juriste qui regarde la politique que d'un politologue ou d'un philosophe qui s'intéresse au droit. Son texte fourmille de références à des arrêts, articles de presse et livres de spécialistes. On voit que Vincent Michelot est un grand lecteur passionné par son objet d'étude. Ses qualités de chercheur sont reconnues et sa réputation est bien établie, ce qui m'autorise ici à une critique intellectuelle serrée de son livre. Le choix de son titre, L'Empereur de la Maison-Blanche, renforcé par le mot "couronnement" ou par un intertitre comme "De Reagan à Bush père: le premier Empire républicain", peut étonner tant l'on sait que les Etats-Unis se sont constitués contre l'idée d'empire et de monarchie. Il semble bien que Michelot surfe quelque peu sur la vague de l'Empire dans le vocabulaire politique américain de ces dernières années. L'Empereur est le président qui établit un rapport de force favorable avec le Congrès. L'auteur nous dit (page 48): "..l'identification de Reagan avec Roosevelt exprimait aussi sa volonté de gouverner comme Roosevelt l'avait fait, c'est-à-dire en exploitant pleinement les pouvoirs de la présidence moderne pour faire avancer la Nation vers son rendez-vous avec le destin." Michelot s'inscrit dans le sillage d'Arthur Schlesinger qui avait inventé l'expression "présidence impériale" et il en retrace les étapes entre Nixon et Bush junior. Il est alors étonnant que, page 154, l'auteur invalide lui-même son choix sémantique : "Faut-il pour autant proclamer le couronnement de l'empereur présidentiel ? Non, et ce pour plusieurs raisons." Mais alors pourquoi ce titre impérial ? Dans cette première partie, évoquant l'argent dans les campagnes, l'auteur écrit (p. 78) : "Il faut donc se garder d'une forme d'essentialisme populiste vis-à-vis de la classe politique qui consisterait à affirmer qu'elle souffre d'un besoin irrésistible de dépenser des sommes toujours plus importantes." Cette phrase est très problématique à plusieurs niveaux. On sait que les politistes ont une certaine tendance à disqualifier leurs opposants en les appelant populistes, ce qui leur permet de ne pas discuter leurs thèses. C'est le cas ici. Ensuite, la critique proposée par Michelot de l'essentialisme supposé des critiques du financement des campagnes est, en grande partie, à côté de la plaque car les critiques ne visent pas une soi-disant "essence" de la classe politique mais un fonctionnement. Enfin, il ne fait aucun doute que les sommes mises en jeu dans les campagnes sont effectivement "toujours plus importantes", ce qui légitime la critique. Les deux candidats à l'élection présidentielle de 2004 étaient si riches qu'ils ont pu se passer du financement public et l'on sait qu'il existe une barrière de l'argent dans les campagnes présidentielles mais aussi parlementaires. (Quatre milliards de dollars dépensés en 2004). C'est en grande partie le trésor de guerre amassé par le clan Bush qui à permis à Geroge W. Bush de gagner les primaires en 2000, notamment en finançant les campagne de dénigrement raciste à l'encontre de McCain. Il y a toute une littérature sur l'argent et ses effets négatifs en politique, une tentative (McCain/Feingold, Bipartisan Campaign Reform Act) de limiter les dépenses et un souci légitime face au pouvoir des puissances d'argent qui verrouillent l'émergence de candidats et discours marginaux. Il n'y a dans ces critiques et inquiétudes aucun essentialisme vis-à-vis de la classe politique mais un souci démocratique. Concernant la technologie, le problème n'est pas nécessairement qu'elle est "obsolète" (p. 80) mais dans certains cas, au contraire, qu'elle est si sophistiquée qu'une vérification est impossible (ordinateurs qui ne laissent aucune trace papier, machine à voter qui déraillent, comme cela a encore été le cas en 2004) et aussi que les entreprises qui fournissent ces ordinateurs qui déraillent sont parfois des soutiens fidèles des républicains (Diebold). Une technologie très démodée, obsolète donc, qui consisterait à utiliser des bulletins en papier serait plus fiable car elle autoriserait des recomptes et éviterait les problèmes des écrans tactiles ou des bulletins mal poinçonnés. La seconde partie de l'ouvrage traite de la Cour suprême et évoque quelques batailles politiques notamment autour des nominations. Cette partie permet aux lecteurs de journaux de mieux comprendre les enjeux des affrontements entre les pouvoirs exécutif et judiciaire aux Etats-Unis. Michelot donne toujours les équivalents américains des mots français qu'il utilise ce qui est très pédagogique. La troisième et dernière partie porte sur la politique internationale et le dernier chapitre s'intitule "La Présidence impériale". On voit donc que c'est la politique extérieure qui permet à la présidence d'être impériale, même s'il n'y a pas vraiment d'empereur présidentiel. Là encore Vincent Michelot retrace l'histoire de la montée en puissance de la présidence et son texte est celui d'un juriste très au fait des débats juridiques américains. C'est ce qui fait l'intérêt principal de ce livre qui est bien informé et donc une ressource pédagogique importante. On peut cependant s'interroger sur la pertinence de certaines remarques plus proprement politiques. L'auteur affirme (page 152) que "tous les conflits importants auxquels les Etats-Unis ont participé dans les six dernières décennies l'ont été sous l'égide ou avec l'aval de l'OTAN et surtout de l'ONU." Cependant, est-ce bien à l'OTAN d'autoriser un conflit, l'OTAN qui est mentionnée avant l'ONU ici ? La guerre du Kosovo, qui avait "l'aval de l'OTAN" mais pas celui de l'ONU, était illégale. Le conflit important de 2003, c'est à dire pour parler sans euphémisme, la guerre en Irak, n'avait pas reçu l'aval de l'ONU car la résolution 1441 ne l'autorisait pas et peut être considéré comme d'une importance capitale. Lorsque l'auteur évoque la fast track authority devenue depuis 2002 la Trade Promotion Authority, il déclare (p. 160) : "Il s'agit pourtant d'un outil indispensable à la présidence américaine, car il est difficile de signer des traités commerciaux dont toutes les dispositions essentielles sont conditionnées à un accord parcellaire du Sénat dans des délais indéterminés." Nous entrons là dans le domaine de la prise de position partisane, sans que la transition entre travail scientifique de présentation du fonctionnement du système politique et préférence idéologique personnelle ne soit annoncé. En effet, il y a débat aux Etats-Unis pour savoir si cette Trade Promotion Authority est bien démocratique. Lorsque Clinton l'avait perdue, c'est précisément parce qu'une partie des démocrates voulaient lui imposer plus de démocratie au Congrès. L'auteur est partisan des politiques commerciales des diverses administrations américaines, il appelle les opposants des "protectionnistes", ce qui est le vocable choisi par les partisans du libre-échange pour caractériser négativement leurs opposants et donc n'est pas un terme neutre du tout. Puis il ajoute : "ce qui avait commencé par une préparation insuffisante des troupes Démocrates (sic) par le président Clinton au Congrès .". La majuscule de Démocrates est américaine et le raisonnement un décalque des partisans américains de l'ALENA. L'auteur a droit a ses convictions mais ici on mélange les genres. Le livre bien informé sur le fonctionnement politique et juridique devient livre partisan et idéologique sous couvert de scientificité. De même lorsque (p. 145) l'auteur se rallie à la position d'une journaliste du Monde pour expliquer que l'absence de débat dans la presse américaine à propos des armes de destruction massive en Irak se comprend par le fait que "le débat n'existait pas dans la société", il ne fait qu'entériner une conception des médias fort problématique et peu citoyenne car, en effet, on peut penser que le travail des médias, soi-disant quatrième pouvoir, est d'informer les citoyens qui disposent alors des informations nécessaires au débat. Sans informations, pas de débat, bien sûr, ce qu'ont bien compris les nouveaux censeurs de l'Administration Bush et leurs amis de Fox News. Affirmer, comme le fait Michelot, que seul le pouvoir exécutif "disposait d'informations crédibles sur des questions d'ordre militaire comme la présence d'armes de destruction massive en Irak" confine à la mauvaise blague. On sait que l'Administration Bush n'a eu de cesse de faire taire Hans Blix, que les informations diffusées se sont révélées souvent mensongères, qu'il n'y avait pas d'armes de destruction massive en Irak avant l'attaque de mars 2003, que M. Powell avait utilisé des informations que la CIA savait fausses à l'ONU en février 2005. D'autre part, les informations crédibles concernant ces armes étaient disponibles et discutées dans la presse de toute l'Europe, y compris celle de Grande Bretagne. Le président américain détenait peut-être des informations crédibles mais il les a délibérément cachées, la presse qui a bien fait son travail, en Europe et dans les petites publications dissidentes aux Etats-Unis, s'est révélée bien plus crédible, comme l'ont montré, plus tard, trop tard, diverses commissions d'enquête américaines, notamment celle du Congrès. Cet argument sur la crédibilité des informations rappelle fâcheusement la position du Président Johnson qui affirmait que si le public savait ce que lui, le président, savait, il approuverait son action au Viêt-nam. Il ne s'agissait que d'une technique supplémentaire de mensonge de la part du manipulateur de l'incident du Golfe du Tonkin. On attendrait donc un peu plus de prudence de la part d'un historien ou d'un politologue. Vincent Michelot nous offre donc un ouvrage important et utile que l'on peut recommander à tous les étudiants qui comprennent mal le système politique américain mais un ouvrage partiel et partial également. L'auteur excelle dans la présentation des décisions de justice et de la complexité du système juridique mais l'on peut trouver ses analyses et interprétations trop courtes ou teintées d'idéologie plus ou moins consciente. On pourra s'étonner enfin de ne pas voir de discussion du Patriot Act, qui ne figure pas dans l'index non plus et qui pourtant est un élément important dans la construction de "l'Empereur de la Maison Blanche" dirigée, au moins officiellement, par Bush II. Cette timidité étonne lorsque l'on sait que d'éminents juristes américains, comme David Cole (pas cité) ou Ronald Dworkin (présent dans la bibliographie seulement) en ont offert des déconstructions brillantes et fort politiques. Je suggère ici un seul titre par auteur, un article de David Cole publié dans la Harvard Law Review en 2003, "The New McCarthyism, Repeating History in the War on Terrorism" et un de Ronald Dworkin publié en février 2002 par la New York Review of Books, "The Threat to Patriotism". Je termine ce compte-rendu critique par une citation d'un paragraphe de Dworkin, auteur posé mais pas timide, qui montre "l'Empereur" Bush à l'uvre:
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