Transatlantica 2 / 2002
Collin MEISSNER. Henry James and the Language of Experience. Cambridge : Cambridge UP, 1999. ix+237p. £37.50, $59.95. http://publishing.cambridge.org/hss/. Lu par Annick Dupperay (Université de Provence) Conformément aux développements récents de la critique jamesiennne, qui s'efforce de réconcilier formalisme et historicisme, Meissner redécouvre ce qu'il est convenu d'appeler la dimension "politique" de l'oeuvre de James et insiste sur la fonction "civique" du récit de fiction telle que l'envisageait le romancier lui-même en définissant "the civic use of imagination" (voir la préface à "The Lesson of the Master"). Meissner procède à une analyse textuelle approfondie de trois romans représentatifs des étapes successives de l'oeuvre fictionnelle The American, The Portrait of a Lady et The Ambassadors qu'il rapproche en fin d'ouvrage des trois volumes de l'autobiographie. S'il s'agit de démontrer l'interrelation entre esthétique et politique, l'auteur souhaite cependant s'inscrire en porte-à-faux par rapport aux approches "new historicist" comme celles de Mark Seltzer (Henry James and the Art of Power, 1984). Seltzer perçoit chez James une double stratégie selon laquelle l'écrivain déplore et reconnaît à la fois la collusion entre l'art et le pouvoir et ce faisant, révèle son rapport de connivence avec l'ordre établi et le discours du maître. Meissner, quant à lui, associe l'engagement "politique" de l'écriture jamesienne à son pouvoir de subversion et de contestation des canons culturels et sociaux, même sil insiste sur le caractère essentiellement individualiste de la démarche. Malgré ses affinités avec Walter Pater, poursuit Meissner, James entra très tôt en guerre dès 1875 avec Roderick Hudson et 1877 avec The American contre les méfaits de l'esthétisme : "the immoral underside of aestheticism, at least in so far as the aesthete cultivated a hypersensual response to life". La complexité des relations humaines en sa dimension sociale fait elle aussi partie de ce réel que lon ne peut manquer de rencontrer tôt ou tard (voir préface à The American). La notion dexpérience senvisage suivant deux logiques contradictoires qui saffrontent dès The American ; on discerne une logique accumulatrice et empirique, un mode de consommation, par lequel la dite expérience vient renforcer les structures mentales et schémas culturels préétablis. Elle entre en conflit avec une autre vision de lexpérience, sous le signe de laltérité et de laltération, une démarche négatrice transformative and non-affirmative. Lexemple par excellence de cette rencontre déstabilisatrice avec lautre que soi est la scène du Lambinet (The Ambassadors) : The sudden explosion of Strethers frame of reference matches exactly Jamess understanding of reality as an unfixable, ever-expanding horizon, what William James referred to as a multiverse. La rencontre de linconnu ou de létrange devient mode de connaissance et lon appréciera de ce point de vue dintéressants parallèles entre The Portrait of a Lady (Isabels midnight vigil), The Ambassadors et The American. Ce dernier, souvent perçu à tort comme un romance manqué (a failed comic romance) entraîne déjà personnage et lecteurs, par cercles concentriques, vers une forme dépiphanie négative que Meissner appelle an interpretive quandary : the failure to understand often becomes the medium of understanding. Le problème étant que, vu lextrême fluidité de leur expérience, les personnages ne peuvent plus être signifiés par lintrigue qui les contient ; James les laisse en lair (voir Notebooks, Portrait of a Lady). Doù lénigmaticité des dénouements (Portrait et The Ambassadors), et la frénésie interprétative de plusieurs générations de lecteurs contraints daller au-delà du texte de fiction, denvisager la multiplicité des possibles lavenir extra-textuel des héros. Cest ainsi, selon Meissner, que James maintient le dialogue entre lart et la vie et rappelle les limites du formalisme esthétisant. On appréciera la réévalution des dénouements les plus équivoques, ainsi que le parallèle établi entre les représentations fictionnelles de la conscience artistique et leur contrepartie autobiographique. Lautobiographie de James se situe à lintersection entre lart et la vie ; la figure de lauteur se libère à son tour du cadre formel de la narration puisque le dernier volume demeura inachevé. Tout nest pas nouveau dans louvrage de Meissner, mais lanalyse est solide, souvent convaincante et remarquablement rédigée. |
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