Transatlantica 3/ 2003
Bernd Herzogenrath. An Art of Desire : Reading Paul Auster. Amsterdam : Rodopi, 1999. 245 p.
Dans An Art of Desire, Bernd Herzogenrath poursuit en fait deux projets concomitants qui ne font pas nécessairement bon ménage : tout dabord, il entend montrer comment Auster «défamiliarise» divers genres (le roman policier dans City of Glass, la dystopie dans In the Country of Last Things, le roman picaresque dans Moon Palace et le «road novel» dans Music of Chance), et pour ce faire il consacre ses chapitres impairs à un rappel historique (en général bien informé) sur le genre considéré, afin de mettre en évidence les subversions génériques opérées par Auster. Les chapitres pairs sont quant à eux consacrés à une étude dans chaque uvre de la notion de «désir», dans une perspective résolument psychanalytique à laquelle luvre de Paul Auster, avec ses personnages toujours en quête dune identité et dun langage pour lexprimer, se prête avec une grande complaisance. Cest ainsi que le chapitre 2, «Paradise (always already) lost» analyse City of Glass comme mise en intrigue du «stade du miroir» de Quinn, dans laquelle les personnages que ce dernier rencontre, et avec lesquels il sidentifie (les deux Stillman et «Paul Auster»), incarnent les différentes phases du processus. Ce chapitre, le plus long de louvrage, met en place les références principales, Lacan et Derrida, cadre théorique dont il est dommage quil étouffe parfois la démonstration. Si le chapitre 2 rend bien compte de la totalité du roman auquel il est consacré, on ne peut pas en dire autant du chapitre 4, qui traite de In the Country of Last Things, et où lanalyse concerne essentiellement la première partie du roman, description de lunivers apocalyptique et des techniques de survie dAnna ; sont convoqués ici Freud, René Thom (pour sa théorie des catastrophes), Lacan, mais aussi Deleuze et Guattari ce qui fait beaucoup pour un chapitre de 18 pages, et le parallèle établi entre écriture et scavenging nest pas vraiment nouveau. Le chapitre 6 consacré à Moon Palace est celui où les deux projets de la thèse sont le plus harmonieusement combinés, puisquil tente dinterpréter limpossible rencontre entre la figure du picaro et lesthétique du sublime en termes de la formule lacanienne du désir. Les pages consacrées au rôle de lécriture dans la relation au père sont les plus convaincantes. Dans le dernier chapitre, «Unresolved Harmonies», jouant sur le double sens de drive, lauteur assimile conduite automobile et pulsion de mort, et analyse dans The Music of Chance la relation chiasmatique entre la route et le mur, la liberté et lesclavage. Si dans ce chapitre les rappels théoriques se font de nouveau pesants, la démonstration nen est pas moins assez convaincante, et rend bien compte de léconomie générale du roman. Ce nest pas à une plongée dans linconscient que nous invite François Gavillon dans Paul Auster : Gravité et légèreté de lécriture, version remaniée et enrichie de sa thèse, mais plutôt à un voyage intersidéral à travers la galaxie des romans de Paul Auster. Litinéraire, comme le suggère le titre, va de la gravité à la légèreté, et suit grosso modo la chronologie de luvre, commençant par le «big bang» de la mort du père, doù naîtra The Invention of Solitude, et se terminant sur une étude de «lendocentrisme métafictionnel » dans Leviathan. Il ny a cependant rien de strictement linéaire dans ce parcours : il sagit de mettre en évidence les deux forces contraires qui maintiennent cette galaxie en équilibre, dun côté la «force gravitationnelle» de ce quon pourrait appeler le «réalisme» dAuster (étiquette quil revendique lui-même), de lautre la «force centrifuge» de lironie et de la métafiction. Les quinze chapitres se répartissent autour de cinq axes de réflexion pour explorer les tensions entre ces deux forces. Les trois premiers, consacrés au poids du réel, examinent au fil des neuf chapitres qui les composent les liens entre «lécriture et la vie» dans The Invention of Solitude, la thématique récurrente de la chambre close, «lart de lanorexie», analyse fine du trope de la disparition et de la déliquescence. Dans la deuxième partie, «La cité et la grand-route», il est question des différentes représentations de la ville dans la trilogie et In the Country of Last Things, espace urbain qui souvre sur lespace de louest dans Moon Palace. «la faute et lexpiation» se penche sur lépaisseur historique des romans Moon Palace, Leviathan et The Music of Chance, et sur le thème de la dette. Les deux dernières parties analysent les stratégies par lesquelles le texte échappe à la gravité, à coup de répétitions et d«ampliation baroque». Le chapitre sur la «géométrie baroque» de Moon Palace évoque discrètement la théorie des fractales pour rendre compte des phénomènes dauto-similarité dans le texte. La dernière partie, «de la gravité à la légèreté métafictionnelle», montre le «déploiement réflexif» de luvre, où auteur et personnages, réalité et fiction sont mis en regard. La bibliographie, très complète pour ce qui concerne les écrits de Paul Auster, est précédée dune «constellation lexicale», répertoire des mots et associations de mots qui constituent le matériau linguistique dAuster, et qui ont servi de base aux divers développement proposés. Tout nest sans doute pas très nouveau dans louvrage de François Gavillon (on a déjà beaucoup écrit sur des thèmes tels que la mémoire, lécriture, le picaresque, la ville chez Paul Auster, pour nen citer que quelques-uns). Ce qui en fait lintérêt, cest la démarche adoptée, cette mise en résonance des éléments de la «constellation lexicale» à travers toute luvre, qui met en évidence la dynamique lui permettant déchapper à la pesanteur du réel. Cest le texte de Paul Auster qui dicte cette démarche, et les références philosophiques et littéraires, très éclectiques comme en témoigne lindex des noms propres, viennent à point nommé en éclairer tel ou tel aspect sans pour autant lécraser, donnant à cet essai un ton très personnel qui est lun de ses atouts. |
|