Transatlantica 2 / 2002
Georges-Claude GUILBERT. Carson McCullers. Amours décalées. Paris : Belin, 1999. 128 p. 50 F. http://www.editions-belin.com . Lu par Yvette Rivière (Université Paris 12 - Val de Marne).
Avec le recul, on redécouvre Carson McCullers et lon tente de lui rendre justice. Après lédition annotée par Marie-Christine Lemardeley-Cunci de nouvelles traductions de la romancière (La Pochothèque 1994) et la flamboyante biographie de Josyane Savigneau (Stock 1995), Georges-Claude Guilbert sattache dans le format ramassé du petit Belin à la défendre contre ses détracteurs. Il glisse sur les détails biographiques qui relèvent du voyeurisme et se démarque des traditionnels couplets sur la solitude et le gothique pour cerner au plus près la voix spécifique de McCullers, son style unique et rigoureux. Le sous-titre, amours décalées, joue sur le caractère unilatéral de lamour tel quil se manifeste chez les différents protagonistes, puisquil tient davantage au regard de lamant quà la nature de lobjet aimé. Mais cet amour dépasse les relations personnelles pour sétendre à lhumanité entière sous forme de compassion envers les exclus, les marginaux (dEros on passe à Agape). Bien avant la reconnaissance des Droits Civiques, les Noirs sont présentés comme participant de lhumaine condition et victimes dune terrible injustice et, bien avant les gender studies, McCullers insiste sur la nature double de chacun des êtres dont lambivalence est soulignée par la modulation des prénoms et des comportements. Nul ne mérite dêtre rejeté sous prétexte quil nentre pas dans un moule préformé et ne se soumet pas aux exigences de la société : éloge de la différence qui lui valut lincompréhension des critiques les plus traditionalistes. Guilbert choisit décarter systématiquement de sa critique les nouvelles de la romancière et sa dernière uvre (LHorloge sans aiguilles) ; il a toutefois lhabileté dy faire référence pour étayer les thèmes ou les remarques quil développe. On peut regretter la présentation éclatée en quatre chapitres (avec intertitres), chacun consacré à un roman particulier, même si chacun deux est analysé avec franchise et avec soin. Lauteur sattarde sur la peinture réussie de ladolescence mais avoue sa préférence pour Reflets dans un il dor dont, malgré les allusions freudiennes appuyées, il démontre la cohérence et léconomie musclée. Moins sensible à la dimension héroï-comique de La Ballade du café triste inspirée des contes et récits populaires, il insiste sur le côté cruel et pathétique de laffrontement hideux et grimaçant entre spécimens de foire. Louvrage est bien informé, explicite les allusions et les réminiscences littéraires ; de plus, écrit dans un style vif, il a le mérite de récuser les clichés, les a priori réducteurs et de faire ressortir, par-delà le régionalisme, les résonances universelles. |
|