Transatlantica 4/ 2004
Gaïd GIRARD ed. Le Superflu, chose très nécessaire. Rennes : Presses Universitaires de Rennes, 2004. 290 p. 20 euros. Lu par Nathalie Vanfasse (Université de Provence). Ces Actes dun colloque organisé par le Centre dÉtudes Interdisciplinaires du Monde Anglophone à lUniversité de Brest fin novembre 2002, rassemblés et présentés par Gaïd Girard offrent un volume riche et agréable à lire. Louvrage part du couple superflu/nécessaire rendu célèbre par Voltaire et, en cinq parties, semploie avec succès à dépasser lopposition entre ces deux termes. La première partie, « Poétique et politique du superflu », sintéresse aux rapports entre superflu et écriture. Jean-Jacques Lecercle analyse lusage luxueux que la littérature fait de la langue. Marie-Christine Agosto montre que la vie ascétique de Thoreau à Walden lamène à définir le superflu comme une condition vitale de la liberté. Gilles Mayné applique au roman A Spy in the House of Love dAnaïs Nin la théorie de Bataille sur les « dépenses improductives ». La seconde partie du recueil est intitulée « Les voies démultipliées du superflu ». Elisabeth Soubrenie se penche sur le dilemme stylistique du superflu auquel est confronté Burton, tiraillé entre scolastique et baroque, dans son Anatomy of Melancholy. François Gavillon analyse la progression labyrinthique des romans de Paul Auster et sinterroge sur le caractère superflu de ces bifurcations. Florian Tréguer examine le traitement de lexcès sonore comme modalité du superflu dans White Noise de Don DeLillo. Gilles Ménégaldo montre que le cinéma de Woody Allen est marqué par le superflu qui prend la forme de citations cinématographiques, de dédoublements et de plans-séquences qui échappent à lordre logico-temporel de la narration. Dans la troisième partie, « Du corps humain au corps social : une économie du superflu », Helen Moore souligne dabord combien la question de léquilibre est au centre de la pièce de Shakespeare The Merchant of Venice. Claire Crignon-De Oliveira offre ensuite une analyse de la mélancolie comme la maladie du superflu et de lAngleterre comme le pays de la mélancolie. Annick Cossick montre que Bath au XVIIIe siècle proposait un remède aux excès du corps tout en encourageant la consommation effrénée de biens et de divertissements. Jean Boncur sattache à la notion de dépenses superflues dans la pensée économique anglaise et souligne le paradoxe qui veut que dépenses et excès contribuent à léquilibre social. Anne Brunon-Ernst met en évidence lexistence dun courant économique qui, lui, valorise lépargne et trouve sa forme dexpression la plus achevée dans le traitement des pauvres proposé par Bentham dans les Poor Law Writings. La quatrième partie de louvrage « Fonctionnalité du superflu : figures de lexcentré » se concentre sur quelques figures typiques de la fin du XIXe siècle britannique qui relèvent du superflu. Hélène Machinal analyse Sherlock Holmes comme un personnage à la confluence dun discours scientifique et central et dun discours romantico-esthétique et excentré. Gilbert Pham-Thanh sintéresse au dandy condamné implicitement dans les « fashionable novels » mais figure positive chez Wilde. Anne-Pascale Bruneau envisage la valeur de linutile dans les théories de lart en Grande-Bretagne, notamment dans la théorie de « lArt pour lArt » telle quelle fut exposée par Whistler. La dernière partie du recueil, « Esthétique du superflu, débords et entre-deux » est consacrée aux phénomènes de débordement en art. Liliane Louvel explore les liens entre texte et image sous un angle nouveau à partir dune question provocatrice : le discours est-il superflu à limage ? Éric Gonzalez se fonde sur la nouvelle de Pynchon, Entropy, pour sinterroger sur la notion dimprovisation en jazz. Hervé le Nost analyse la place du couple superflu/nécessaire dans la pratique de lart contemporain, à travers le recyclage de rebuts ou encore la notion de kitsch. Le volume se clôt sur une réflexion de Cornelius Crowley qui cherche à définir une ontologie du superflu, libérée de la prééminence conceptuelle du nécessaire. Finalement, cet ouvrage collectif fournit un éclairage précieux sur une notion dont il dégage avec brio toute la complexité. |
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