Transatlantica 2 / 2002
Marie-Agnès GAY. Epiphanie et fracture : l'évolution du point de vue narratif dans les romans de F. Scott Fitzgerald. Paris : Didier érudition, 2000. 328 p. Lu par Elisabeth Bouzonviller (Université Jean-Monnet St-Etienne). Alors que luvre de F.S.Fitzgerald avait été quelque peu oubliée par la recherche universitaire française depuis les années soixante-dix, louvrage de M-A. Gay prouve quelle peut être explorée avec succès au moyen doutils critiques récents. Ainsi que lattestent la bibliographie et le titre, son approche relève de la linguistique, mais elle ne rebutera pas les profanes en la matière puisque, ainsi quelle lexplique elle-même, elle se situe [...] au carrefour dune analyse stylistique et dune approche plus largement littéraire, lexamen des marques linguistiques et pragmatiques de la perspective narrative se doublant dune étude sur la thématique du regard. Son ouvrage se divise en quatre parties qui correspondent à la chronologie de luvre et considèrent successivement la façon dont lécrivain a géré la notion de point de vue dans ses cinq romans. Son originalité réside dans laffirmation dun intérêt marqué de la part de Fitzgerald pour les questions de forme et tout particulièrement pour la notion de point de vue, alors quil a longtemps été considéré uniquement comme le spectateur et chantre de lAge du Jazz. M-A.Gay insiste sur la corrélation entre lévolution du talent du romancier et sa maîtrise progressive de cet outil narratif. Bien quelle connaisse parfaitement la critique fitzgeraldienne antérieure, elle sy réfère peu et lintérêt principal de son approche réside dans son analyse personnelle et scrupuleuse des textes. Elle sinterroge sur les réflecteurs, sur la distance entre lecteur, écrivain, personnages et narrateur et sur la perception des événements par les personnages. Au-delà des erreurs de jeunesse, elle croit reconnaître les prémices dune réflexion sur le point de vue dans les premiers romans et les germes dun talent à venir alors que Fitzgerald passait dune identification totale à ses personnages à une dissociation complète et quil cessait dêtre le porte-parole de son époque pour en devenir lobservateur cynique. A propos de Gatsby le Magnifique, M-A. Gay étudie évidemment le narrateur homodiégétique et la fiabilité de son message. Elle démontre avec succès que, malgré ses failles, Nick transmet finalement ce quelle nomme le point de vue métaphorique de Gatsby et conclut sur lidée que le roman met en scène la naissance dune voix, seule capable dexprimer linfinie quête du sens. Dans son analyse de Tendre est la nuit, elle soutient que lutilisation dun point de vue fragmenté, souvent mal perçue par la critique, constitue en fait la clé de voûte du roman, qui, grâce aux différents réflecteurs, offre au lecteur une expérience mimétique de lambiguïté, de la fragmentation, voire de la schizophrénie. A charge alors au lecteur de découvrir, derrière cette expérience traumatique, la promesse esthétique dune certaine plénitude qui devra être reconstruite à partir du chaos narratif apparent. Ainsi, de Gatsby le magnifique à Tendre est la nuit, Fitzgerald faisait le chemin de la lumière verte aux ténèbres keatsiennes, de lépiphanie à la fracture, annonçant déjà le point de vue comme emprisonnement de son dernier roman inachevé. M-A. Gay peut donc conclure que cette évolution du point de vue narratif dans les romans de F. Scott Fitzgerald reflète son désenchantement progressif, de lenthousiasme des années folles à la banqueroute émotionnelle de la crise de 1929, mais que finalement son uvre célèbre la supériorité de limagination et de la fiction sur la réalité. Cette approche qui lie analyses linguistique et thématique peut surprendre au premier abord car M-A. Gay sintéresse tout à la fois à la focalisation, aux regards, aux perspectives visuelles et narratives et considère même laspect moral de la perception alors quelle sinterroge sur lhonnêteté des témoins et la validité de leurs messages. Néanmoins, son ouvrage franchit aisément les barrières entre les différents domaines et se distingue par son analyse pointue et convaincante des textes dans un style rigoureux mais souvent poétique qui rend justice au talent dun romancier si souvent critiqué pour son attitude dilettante et le gâchis de son talent. Ainsi, M-A. Gay nous offre un éloge original mettant admirablement en valeur les qualités formelles dune uvre longtemps sous-estimées. |
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