|
Anne GARRAIT-BOURRIER et Monique VÉNUAT. Les Indiens aux Etats-Unis : renaissance dune culture. Paris : Ellipses,coll. Les essentiels, Civilisation anglo-saxonne, 2002. 192 pages. Lu par Bernadette Rigal-Cellard .
Cette collection permet aux étudiants et aux lycéens de se familiariser avec de nombreux sujets, mais le format oblige les auteurs à résumer à lexcès leur travail, et ce volume démontre les limites de lexercice. La majeure partie du livre est intéressante, mais lintroduction et la dernière partie comportent des faiblesses et de graves erreurs factuelles.
Lintroduction abonde en déclarations à lemporte-pièce entre de trop nombreux points de suspension, et en truismes qui occupent lespace au détriment de lapprofondissement (« Lorsque les premiers colons européens prirent possession dune terre dont il est indéniable quelle ne leur appartenait pas », 14) et recèle plusieurs maladresses: les auteurs donnent lexemple de la Confédération iroquoise des « Six Nations » mais ne citent que cinq dentre elles, oubliant les Senecas (9) ; le terme d « ethnologue » pour Lahontan nest pas approprié. La chronologie, partie capitale de ce type de livre, est trop sommaire et ne permet pas suffisamment de suivre lhistoire des Indiens. En revanche les chapitres sur « Peuplement et dépeuplement », « Spoliation et extermination » sont bien menés et sont à la fois synthétiques et suffisamment précis. La deuxième partie, « cultures, identités et héritages indiens » brosse un tableau des aires culturelles et résume les débats sur lacculturation, lassimilation, la christianisation des Indiens au dix-neuvième siècle, puis présente les Indiens dans les villes. Plusieurs pages sont consacrées à la littérature. On regrettera que ce ne soit que sous forme de nouvelle que luvre majeure de James Welch, Winter in the Blood, soit citée, ou que lon écrive que Vizenor a vécu « longtemps en Chine » alors quil ny a passé que quelques mois.
Les termes utilisés dans le chapitre sur la spiritualité ne sont pas précis, ainsi «ces activités ont permis la survie dune tradition spiritualiste indienne authentique », « cette religion syncrétique quest la tradition animiste et monothéiste autochtone » : sagit-il dun monothéisme récent, ancien ? La question de la spiritualité est trop complexe pour être ainsi schématisée. Les affirmations selon lesquelles « Dès lorigine, les cultes indiens se rapprochaient du christianisme » et « Il ny a pas dopposition de fond majeure entre les croyances chrétiennes et les croyances indiennes » devraient reposer sur de solides notes bibliographiques car elles relèvent des théories controversées de linculturation du christianisme et sont sujettes à caution. Passé lénoncé des ressemblances entre les deux religions, le résumé des divergences est caricatural, très marqué par le parti pris de Deloria. Il est insultant pour les chrétiens, et cest mal les connaître, que décrire que « le Chrétien peut quitter léglise et refermer derrière lui la porte du divin », alors que le noble Indien vit « sa spiritualité au quotidien ». Quant à écrire que la cérémonie du peyote se déroule « du point du jour au crépuscule », cela relève du grave contresens car cest le contraire, la conclusion de la cérémonie sur le lever du soleil étant capitale. Il y a aussi un très gros contresens sur larrêt Smith de la Cour Suprême de 1990 : ce nest pas une « loi », et il na pas du tout interdit lutilisation du peyote. Quant au Windigo, il nest pas le « croquemitaine indien » mais exclusivement celui des Chippewas/Ojibwa et de leurs voisins culturels. Un livre qui souligne la nécessité de différencier les tribus se doit de respecter leurs particularismes. Le texte na pas suffisamment été vérifié et cest très gênant pour un manuel scolaire et universitaire.
Un autre défaut majeur est que les auteurs nont pu sempêcher de débuter et, pire, de conclure par le poncif qui consiste à partir des stéréotypes (ici, comme toujours, par « le seul bon Indien
») afin de contrer le cliché par le récit historique de la survie du peuple indien dans le reste de louvrage, puis à résumer dans la conclusion le western, ce « piège dans lequel le regard blanc ne cesse denfermer les Amérindiens », comme si on ne pouvait aborder la question des Amérindiens de façon neutre. Car enfin en recourant soi-même à ces poncifs, que lon prétend dénoncer, on les perpétue aux yeux des jeunes lecteurs qui ne liront ici quun historique littéralement encadré, « framed », par les clichés. Même si cest pour se féliciter quenfin un film réalisé par un « authentique Indigène », Sherman Alexie, ait eu du succès en Europe, les derniers mots des auteurs replacent clairement la culture indienne dans la Légende dorée, car elle est « profondément attirante à tout esprit féru de spiritualité et de beauté
à tout amoureux de lHumain, dans ce quil a de plus pur et duniversel. » Mais justement, il est fort peu probable que quelquun comme Sherman Alexie pose un tel regard sur sa propre culture.
Enfin, il est étrange que les ouvrages français majeurs sur la question et régulièrement remis à jour, soient ignorés dans la bibliographie (le nom des auteurs apparaît cependant en notes de bas de page sans plus de référence). Il faut les citer ici car tous trois sont abordables par tout lycéen et tout étudiant, sont très richement documentés et sont à la hauteur des productions américaines :
Nelcya Delanoë. Lentaille rouge. Des terres indiennes à la démocratie américaine, 1776-1996. Paris : Albin Michel, 1996, réédition.
Joëlle Rostkowski. Le renouveau indien aux Etats-Unis : un siècle de reconquêtes . Paris : Albin Michel, 1985. Rééditions : 1996, 2001.
Nelcya Delanoë et Joëlle Rostkowski. Les Indiens dans lhistoire américaine. Paris : Armand Colin, 1996, réédition (chronologie très détaillée).
|