Transatlantica 4/ 2004
A. FRUND et H. LE DANTEC-LOWRY (éds). «Ecritures de lhistoire africaine américaine». In Annales du Monde Anglophone (2ème sem 2003), n° 18. LHarmattan, Paris, 185 p. Lu par Alice Mills (Université de Caen). « Ecritures de lhistoire africaine américaine » dirigé par Hélène Le Dantec-Lowry et Arlette Frund sinscrit dans la mouvance dune remise en cause de lhistoire consensuelle, doù le pluriel d«écritures» auquel aurait pu prétendre lensemble du titre puisque le livre porte sur lAmérique du Nord et sur celle de la Caraïbe. Louvrage met en avant les bouleversements relativement récents qui ont affecté la conception de lhistoire et montre que celle-ci tient enfin compte de ceux quelle avait longtemps ignorés; lhistoire des Africains Américains fait désormais partie intégrante de lhistoire américaine, et les directrices de publication ont choisi une approche transversale pour le dire, liant diverses formes décriture et dévénement. Le livre, ouvert sur des articles de spécialistes dhistoire, de civilisation et de sociologie, se referme sur des études littéraires tandis quau centre de louvrage les domaines de spécialité se mêlent comme en un creuset. Onze travaux variant les angles dapproche et les disciplines sont présentés en français ou en anglais. La première étude, rédigée par Arlette Farge, examine le travail de lhistorien désormais tenu de rendre compte du non-dit et de linvisible puisque des éléments tels que le silence et lémotion sont aujourdhui inclus dans ses sources primaires. Larticle annonce les multiples questions abordées par louvrage. A travers le cas particulier de la retranscription - ou ré écriture ? - des propos enregistrés dHosea Hudson, une étude dHélène Christol judicieusement placée au cur du livre pose elle aussi une question essentielle: comment traiter la diversité des sources de lentreprise historique ? « Ecritures de lhistoire africaine américaine » sera utile aux afro-américanistes confirmés et aux non spécialistes dans la mesure où le livre suggère des pistes de réflexion inhabituelles tout en offrant un rappel des faits importants: les écrits de lhistorienne Arlette Farge sur les archives du XIII ème siècle et ceux du sociologue John Brown Childs sur lapport des Indiens et des hispaniques dans la célébration de Black History Month englobent et franchissent les frontières de la communauté noire. Dautres travaux, centrés sur le réexamen des faits et de lhistoriographie, mettent laccent sur les manières variées dont, au cours des époques, on a présenté lhistoire des Africains Américains: Hélène Le Dantec-Lowry se penche sur lécriture de cette histoire après les années soixante, Werner Sollors, spécialiste de la communauté noire, examine le passage des études africaines américaines, autrefois marginales, à la position centrale quelles occupent aujourdhui et le sociologue Loic Wacquant propose une lecture de la prison comme substitut du ghetto. Des chants desclaves entendus pendant la guerre de Sécession et des illustrations dEdward Windsor Kemble, respectivement examinés par Geneviève Fabre et Claire Parfait, proposent des réflexions sur les représentations qui se démarquent du texte écrit mais lui restent conjointes. Les études littéraires présentées par louvrage confirment la capacité de limaginaire non seulement à transcrire les « expériences situées hors de la portée de notre champ de connaissances » mais encore à le faire parfois mieux que lentreprise historiographique « souvent soumise aux exigences dune méthodologie positiviste». Anne-Marie Paquet-Deyris analyse un récit de Gloria Naylor, dont laction se situe dans une île ne figurant sur aucune carte. Marc Mve Bekale appréhende à travers la notion de perte des coordonnées spatio-temporelles lhistoire de la traversée transatlantique des Africains dans les romans de Charles Johnson et Fred dAguiar. Arlette Frund, enfin, explore les formes narratives concourant à construire un espace féminin dans deux ouvrages dEdwige Danticat. Un travail de cent quatre vingt cinq pages ne saurait tout dire et lon regrettera peut être que napparaisse pas le nom de Marvin A Lewis, pionnier des recherches sur lhistoire littéraire de la diaspora africaine de langue latine ou celui de Patricia Bell Scott coéditrice douvrages féministes noirs américains essentiels. Mais les notes de références, bibliographies et rappels de dates importantes couvrent un vaste champ. «Ecritures de lhistoire africaine américaine» est intéressant par son esprit douverture, par la rigueur de son contenu et par une genèse qui explique en partie les deux: louvrage est issu des rencontres internationales du Cercle dEtudes Afro-Américaines (CEAA), association inter-universitaire fondée par Geneviève et Michel Fabre. Depuis la fin des années soixante les fondateurs et les membres du bureau scientifique du Cercle incitent les spécialistes de la communauté noire à en réexaminer lhistoire à travers les outils propres à leur discipline, quil sagisse de sociologie, de musique, de poésie ou de théâtre. Ce livre qui génère de multiples possibilités dinterprétation est donc une nouvelle étape dans un cheminement collectif, et, puisque «écritures de lhistoire africaine américaine» souvre sur plusieurs articles soucieux de rendre à la sensibilité, au silence et à lémotion leur juste place en tant que données historiques, peut-être est il permis de rappeler que ce travail est lui même le fruit dune longue histoire de partage et damitié entre chercheurs et quon pourrait ici parler de convergence des curs autant que des savoirs. |
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