|
Salah EL MONCEF. Atopian Limits. Questions of Self, Complexity, and Contingency in Postmodern American Narrative. Peter Lang, 2002. Lu par Jean-Yves Pellegrin (Université Paris IV).
En quatre chapitres et un post-scriptum, Salah el Moncef propose une lecture de Moon Palace, One Flew Over the Cuckoos Nest, Rabbit at Rest, The Silence of the Lambs, Duluth et Empire of the Senseless, autant de textes que rien ne semblait a priori prédisposer au rapprochement. Lauteur nous invite pourtant à y voir la représentation dun même constat : celui des tensions quinduit la complexité croissante du système total produit par le capitalisme multinational de nos sociétés modernes. En dépit de son désir de stabilité, le système est en effet contraint par sa nécessaire expansion, son inévitable emballement, à une complexité et une pluralité croissantes qui le rendent non seulement opaque à lui-même, mais qui font surgir depuis lintérieur du système, les lignes de failles, les espaces interstitiels qui le déstabilisent et en exposent les limites. Cest à lexploration de ces espaces paradoxaux, atopiques, que procède chacun des essais du présent ouvrage. Létude de la décomposition du sujet dans Moon Palace dessine ainsi le seul (non-)lieu possible de la réalisation du moi : lintervalle introuvable entre enfermement autiste et nomadisme radical. C'est aussi dans cet intervalle que sinscrit la voix de Bromden dans Cuckoos Nest, voix de la marge et de la négativité, voix de l'Autre ou du parasite, qui élève celui qui la profère au rang dobservateur critique tout à la fois extérieur et intérieur au système dont il est le produit. Avec Rabbit at Rest, le parasitage se fait jour dans le rapport d'équivalence établi entre le dérèglement de l'organisme et la déstabilisation du corps social. Cette équivalence révèle la manière dont le système déconstruit de l'intérieur ses propres mécanismes reproductifs, remplace les principes de linéarité et de répétition censés y présider par d'imprévisibles arborescences, lesquelles font alors de la reproduction un espace multidimensionnel créateur d'une hybridité proliférante, incontrôlable, et subversive. Enfin, la lecture de The Silence of the Lambs complète la notion d'hybridité par celle de monstruosité : perturbatrice du système qui lui a donné le jour, et dont elle est l'expression pathologique et paroxystique, celle-ci fait la synthèse des différents espaces atopiques explorés tout au long de l'étude.
Salah el Moncef signe ici un travail d'une grande rigueur scientifique, très fouillé dans ses analyses et parfaitement documenté. Atopian Limits est un ouvrage de référence conçu peut-être davantage pour les enseignants que pour les étudiants en raison de son haut degré d'abstraction. On regrette à cet égard le goût, quelquefois trop prononcé, de l'auteur pour une langue technique quil manie avec talent mais qui menace par instants de ralentir la lecture. Cest dailleurs lorsque le propos prend le pas sur le discours universitaire que louvrage se fait le plus éclairant.
|