Transatlantica 3/ 2003
Mathieu DUPLAY. William Gaddis ; Carpenters Gothic : Le scandale de lécriture. Paris : Ellipses (collection Marque-page), 2001. 140 p. Lu par Sophie Vallas (Université de Provence).
Cest à ce roman insaisissable que Mathieu Duplay sest attaqué dans un petit volume intitulé « Le scandale de lécriture » et dont la lecture est aussi exigeante que celle du texte premier. Le texte et lécriture de M. Duplay naplanissent en rien les obstacles et difficultés patiemment tissés dans Carpenters Gothic, mais cest à ce prix que le lecteur, que Gaddis a déjà transformé en « paléontologue », comme le souligne Duplay, enrichira son approche du roman. Il ne sagit en effet pas de clarifier un texte qui, bien au contraire, nest que strates, ajouts, mais aussi ruptures et vertigineuses ellipses. Lun des points forts du travail de M. Duplay est ainsi son étude des divers intertextes utilisés par un Gaddis qui brouille à plaisir les frontières entre des références soigneusement choisies (Hawthorne, Brontë, Platon, la Bible et les Evangiles, bien sûr, au centre du débat qui oppose les créationnistes aux évolutionnistes, mais aussi les romans antérieurs de Gaddis) et son propre texte, ainsi greffé de multiples passages. M. Duplay ajoute à limpression de polyphonie en ouvrant sa propre écriture à des voix extérieures qui, pour certaines, laccompagnent tout au long de son travail critique : ainsi, Gilles Deleuze ouvre et clôt le volume, offrant à M. Duplay des concepts précieux pour la lecture de Carpenters Gothic : « les lignes de fuite », lidée d« une langue étrangère [
] dans la langue elle-même » ou encore la notion de « simulacre ».
A lissue dune étude à la fois foisonnante et patiente, qui ne renonce jamais à lexamen des paradoxes jalonnant lécriture de Gaddis, M. Duplay montre à quel point Gaddis lui-même était fondé à considérer Carpenters Gothic comme son roman le plus noir et le plus dénué despoir. Aucun espoir, le lecteur le sent bien, dans cette maison oppressante traversée par des menteurs, des assassins et des escrocs, et dont Gaddis ne le fait sortir que pour, littéralement, lenvoyer promener : lAfrique, et cette région mythique du Rift où est née lhumanité, ninterviennent finalement dans le roman que pour mieux mettre en lumière linsaisissable appât du profit et les conduites meurtrières quil justifie. Mais le but de Gaddis, qui publie son roman dans le contexte désespérant des années 1980 (un contexte sur lequel M. Duplay choisit de ne pas sétendre), nest pourtant pas simplement de dénoncer une Amérique perdue, politiquement corrompue, économiquement coupable, religieusement hystérique. Ce portrait des Etats-Unis, symboles dune humanité courant à sa perte, nest finalement jamais que le reflet dun projet plus ambitieux, plus « scandaleux » au cur de Carpenters Gothic : le roman célèbre le « scandale de lécriture », conclut M. Duplay, parce quil est lécrin dune écriture qui, ayant goûté à tous les paradoxes, renversé toutes les conventions et repoussé ses dernières limites dans une quête éperdue de libération, se montre « acharnée à sa propre destruction ». Entre Genèse et Armagédon Carpenters Gothic comme roman apocalyptique. |
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