Transatlantica 2 / 2002
François DUBAN. LEcologisme aux Etats-Unis : histoire et aspects contemporains de lenvironnementalisme américain. Paris : LHarmattan, 2000. 188p. 120F. http://www.editions-harmattan.fr/. Lu par Alain Suberchicot (Université Jean-Moulin - Lyon 3)
Louvrage de François Duban étudie les manifestations actuelles des écologies américaines et en évalue les effets culturels et politiques. Il retrace dabord les origines de cette prise de conscience de la fragilité des écosystèmes et de la terre américaine. Parmi les précurseurs, on trouve H. D. Thoreau et John Wesley Powell, lexplorateur de lOuest. Cest avec John Muir (1838-1914) et Gifford Pinchot (1865-1946) que la réflexion se fait plus spécialisée, et que se fondent les concepts qui sont encore déterminants de nos jours dans la conscience écologique américaine, nous apprend en substance François Duban. Ces deux grandes figures ont permis de marquer les différences, pour ne pas dire les divergences, entre les tenants de la conservation, prônée par Pinchot, favorables à un usage avisé des ressources, et les tenants de la préservation, défendue par John Muir, proposant une protection totale de la nature sauvage. Il y a là un clivage originaire que François Duban a le mérite de mettre en évidence, et dont il suit les conséquences jusque dans les excès de ce que lon appelle plus près de nous lécologie profonde. Après avoir analysé les concepts essentiels dune première phase de développement de lenvironnementalisme, François Duban nous oriente très habilement parmi les nombreuses associations écologistes américaines, et il se fait plus politologue quhistorien des idées. On note une connaissance fine des propositions et des débats du Sierra Club, la puissante association californienne de défense de la nature qui voit le jour en 1892, à linitiative de John Muir, et un examen minutieux de laction de la Wilderness Society, à partir de sa création en 1935. Ces pages denses mènent à la grande période de lécologie américaine, en gros de 1970 au début des années 1990, moment où lenvironnementalisme commence à marquer le pas. Cest là que louvrage de François Duban atteint son point de réflexion critique le plus passionnant. Nous voyons alors se dessiner un paysage paradoxal de lenvironnementalisme où les grandes organisations défendent des politiques modérées tandis que les valeurs de lécologie se diffusent dans le grand public ; nous mesurons lengouement croissant suscité par lécologie profonde autour du mouvement Earth First, qui ne craint pas dopposer la nature aux richesses et aux nécessités de la croissance économique. A lire François Duban, on se pose alors la question suivante : les tenants de la deep ecology (qui ont dû influencer nos Verts hexagonaux, parmi les rangs desquels on ne craint pas de taxer et de représenter en même temps) sont-ils les staliniens de lAmérique contemporaine ou bien une espèce plus ancienne et typiquement autochtone, des puritains des premiers temps de retour parmi nous pour refuser le monde tel quil nous est donné au nom dun devoir moral ? Le livre de François Duban permet aussi de mieux comprendre pourquoi un Al Gore a longuement cultivé son image denvironnementaliste. Il suffit de lire Earth in the Balance (quAl Gore a écrit alors quil était encore sénateur) pour comprendre, à la lumière des analyses de François Duban, que les valeurs écologistes permettent de se forger une image de radical à peu de frais et de brasser des idées générales. Il sera toujours plus consensuel de se lamenter sur leffet de serre puisque cest un domaine où ladministration Reagan en effet na pas été réactive, comme le relève Al Gore que de faire des propositions concrètes sur lavenir de la protection sociale et sur les moyens de combattre la pauvreté urbaine. En outre, nous mesurons, grâce au livre de François Duban, que les valeurs écologistes sont éclectiques, voire clivées. Cest sans doute pour cette raison quelles sont aisément récupérées par les hommes politiques, qui y trouvent une réserve didées où lon pourra toujours puiser un discours de substitution faute de pouvoir y trouver une idéologie de rechange. Lenvironnementalisme nest donc pas anodin ; il ne lest pas dans le constat quil nous propose ; il ne lest pas dans sa façon dêtre convié au jeu politique. |
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