Transatlantica 3/ 2003
John DEAN et Jacques POTHIER eds. Regards croisés sur New York. Paris : Editions du Temps, 2003. 191p. 16 euros. Lu par Cornelius Crowley (Université de Nanterre, Paris 10). Le lecteur apprend en exergue que louvrage coordonné par John Dean et Jacques Pothier a pour « point de départ une journée détudes organisée en janvier 2000 dans le cadre du laboratoire « Suds dAmériques de lUniversité de Versailles Saint-Quentin-en Yvelines. Entre ce point de départ et la date de publication il y a, bien sûr, le onze septembre. Faut-il dire « all changed, changed utterly », lévénement ayant provoqué une altération du regard porté sur New York, à cause de lombre portée par ces deux tours, désormais présentes tout autrement que comme notes dans la partition quest la skyline de Manhattan ? Lanalogie vient aisément, appelée quelle est par les noces célébrées entre la ville et la musique. Ainsi Jean-Paul Gabilliet cadastre « Les territoires new-yorkais de la musique populaire jusquà la Seconde Guerre mondiale : Broadway, Tin Pan Alley, Harlem et la 52e Rue » (141-150). Il revisite ces lieux de mémoire de la musique, évoquant Gershwin, Cole Porter, Parker et Monk. Mais cette ville est bien plus quun lieu où se croisent des musiciens venus dailleurs, du shtetl juif ou du Deep South. Si la skyline, avec ses hauteurs différentes, se présente comme une portée musicale, cest quil se passe un curieux commerce entre la forme-mouvement quest la ville et les arts-mouvement : image-mouvement du cinéma, son modulé de la musique. Cette ville a pu matérialiser ce à quoi les arts devraient tendre. Et en retour, cest à travers ces arts-mouvement que le sublime de la ville pourrait saborder : louverture du Manhattan de Woody Allen croise musique, voix, et image. La voix se reprend, ne se satisfaisant jamais dune seule prise sur la ville. Le choix de la lecture plurielle est donc la seule option possible. Lazare Bitoun évoque le « New York, creuset de la littérature moderne » (131-140), panorama de la scène littéraire new-yorkaise que complète larticle de Roger J. Porter consacré à Alfred Kazin (117-130) et le travail comparatif, champ/contre-champ, de Michael Springer, comparaison de ces « Deux modernismes urbains : Paris et New York » (97-116). Cette dernière confrontation se conclut souvent sur le constat dun « passage de flambeau » : la capitale du 19e siècle perd pied face à limmensité novatrice quest New York. Larticle de Lazare Bitoun termine en déclarant que si « le rôle de New York a été capital dans le développement de la littérature américaine contemporaine, on sait également que la ville ne joue plus le rôle de catalyseur qui a été le sien entre le début du siècle et la fin des années quatre-vingt ». La remarque a pour effet détablir une affinité mélancolique entre Paris et New York, les deux villes désormais chose du passé, à laune de limmensité inédite dont Mike Davis, par son travail sur Los Angeles ou sur les hypervilles-taudis dAsie et dAfrique (« Mega-Slums », New Left Review, 26, March 2004) se fait le cartographe. Car New York aura été, ce recueil nous le rappelle, une ville en règle. On lira les articles de William P. Kelly sur « La naissance de New York », Alain Vanneph sur « New York à la carte », Jacques Heude sur « Parcs et jardins de la ville de New York ». New York naurait donc pas attendu le 11 septembre pour devenir un lieu de mémoire. Un reste durbanisme classique la hante, prenant effet dans la grille, rappel des convenances jamais totalement à labandon. Le volume prend fin avec larticle de Catherine Pouzoulet intitulé « Le World Trade Center (1973-2001) : enjeux dune destruction » (163-184). Les New-Yorkais se sentiraient « orphelins de leur tours jumelles, dont la silhouette leur était si familière dans le paysage urbain ». A propos de lavenir de ce lieu, elle parle dune « occasion inespérée de revenir sur lhéritage des intérêts privés qui avaient pesé sur la construction historique de la métropole (165). Son article, et ce faisceau de regards croisés, se ferme sur une question : « Les attentats auraient-ils conduit les décideurs new-yorkais à repenser leur ville ? » (184). Repenser, certainement, puisque la précarité matérielle de la ville a désormais acquis une spectaculaire visibilité : désormais on pensera autrement en pensant à cette ville. « Revenir sur lhéritage des intérêts privés qui avaient pesé sur la construction historique de la métropole » ? Cela est plus difficile, car la ville est malgré tout, depuis son origine, une construction en règle, dont les aspirations verticales se plient aux exigences de la géométrie plane. New York est une cité, son exigence démocratique relève dune civilisation et dune politique qui ne sont pas nécessairement en phase avec linventivité chaotique et rhizomante de notre économie-monde non-gouvernementale. |
|