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Claire BRUYERE. Sherwood Anderson. Le grotesque tendre. Paris: Belin, 2001. 128 p. http://www. editions-belin.com. Lu par Anne Ullmo (Université Lille 3).
Claire Bruyère naborde pas luvre de Sherwood Anderson selon un ordre chronologique et sen explique dans lintroduction en précisant que luvre «ne procède pas par étapes claires». Son ouvrage comprend cinq parties qui exposent dans un style presque andersonien clair et précis- les traits marquants de lécriture dun auteur quelle replace avec rigueur dans le contexte littéraire de la Renaissance de Chicago. Dans une première partie intitulée «Le Mythe», lauteur articule une réflexion qui pourrait ne se nourrir que déléments biographiques, autour de la notion de «rupture», fructueuse dans le cas dAnderson puisque sa problématique du vide spirituel contraste fort avec celle de la conquête du succès en vogue depuis le XIXeme siècle. Le chapitre II, «Silences éloquents» met quant à lui laccent sur lusage andersonien de lesthétique du grotesque, qui, selon C. Bruyère sinscrit certes dans une longue tradition artistique mais est déclinée sur un mode personnel par Anderson. Les références à Hugo, Thomas Mann, Poe et dautres permettent daffiner la définition du grotesque tout en révélant ce que cette «union des contraires» nest pas pour Anderson. Le chapitre «Enfances» fait le lien entre la posture naïve et le style oral des récits dAnderson et la jeunesse des réflecteurs de Mark Twain. Lanalyse de Tar : A Midwest Childhood qui met en scène un préadolescent peu sûr de lui permet à lauteur de souligner que S.Anderson est une fois de plus en rupture avec la culture populaire de lépoque qui renvoie des images de virilité triomphante. Le travail sur la nouvelle moins connue «Lhomme qui devint une femme» met en lumière lunivers fantasmagorique des narrateurs andersoniens, leur expulsion douloureuse vers le monde de lexpérience et leur transfert sur le cheval, objet érotique et envers positif de la société. La nouvelle «Luf» est le point de départ du chapitre «Résister» qui confirme la place dAnderson à contre-courant des épopées américaines de lépoque. Si épopée il y a, elle est ici de lordre du tragi-comique et du grotesque. Les maladresses de cet écrivain noccultent pas, nous dit-on, le désir de faire travailler «ce qui gît au dessous», par opposition à lentreprise de lennuyeux Sinclair Lewis dont le travail est de surface. Le rapprochement avec louvrage dHenry Adams, The Education of Henry Adams, permet à lauteur dinterroger la place de la femme dans luvre dAnderson et de réfléchir sur limpact du social et du politique sur ses derniers récits : lengagement de lécrivain dans les années 1930 passe avant tout par une écriture sans concession qui se refuse à embellir le réel. Le dernier chapitre, «Limpuissance créatrice», propose une synthèse sur le style dAnderson qui ne sapparente que superficiellement au naturalisme de la fin du XIXe siècle. Les figures de lincontournable Gertrude Stein ou encore de Cézanne et dAlfred Stieglitz sont invoquées pour linfluence quelles ont exercée sur Anderson : défendre lauthenticité américaine tout en restant ouvert aux influences extérieures semble être le credo de ces artistes qui prônent la simplicité de lécriture.
La mise en contexte est le point fort de cet ouvrage qui ne se paie pas de mots, résume les récits avant de les faire entrer en résonance les uns avec les autres et prend soin de faire état de lactualité intellectuelle du moment. On pourrait regretter labsence ici de micro-lecture, mais le format de la collection ne permet pas nécessairement de se livrer à des analyses approfondies des textes. On reviendra néanmoins avec plaisir à la lecture de cet auteur méconnu dont Claire Bruyère sait ici évoquer «le désir de mettre en mots des émotions confuses et violentes».
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