Transatlantica 2 / 2002
Luc BENOIT À LA GUILLAUME. Les discours d'investiture des présidents américains ou les paradoxes de l'éloge. Paris : L'Harmattan, 2001. http://www.editions-harmattan.fr/. 304p. Lu par Larry Portis (Université Paul-Valéry - Montpellier 3)
Étude universitaire des discours prononcés par les présidents américains à loccasion de leur investiture, au cours du vingtième siècle, le travail de Luc Benoit, jeune américaniste, se distingue par un contenu théorique (concepts élaborés, intelligemment appliqués au sujet) et critique qui tranche sur la plupart des ouvrages universitaires. Lauteur ne borne pas son horizon à la connaissance des textes historiques et des ouvrages dautres chercheurs dans le domaine qu'il traite. Les concepts empruntés à la théorie sociale ou sociologique critique et à la philosophie (à Marx, Terry Eagleton, Louis Althusser, Barbara Cassin, Pierre Bourdieu, entre autres) lui permettent délaborer sa propre grille de lecture. Comme il lécrit dans sa conclusion : Etudier les discours d'investiture, c'est poser la question de l'idéologie, au double sens de la critique des illusions, dans la tradition marxienne de la dénonciation de la fausse conscience, et de l'étude fonctionnelle de l'efficacité et du fondement institutionnel de ces illusions. Car ces discours sont l'objet d'une triple dénégation idéologique : celle de l'interdiscours, des conflits et de l'histoire (p. 287). Par-delà lapparente simplicité du sujet et la transparence des textes étudiés, l'objectif du livre est assez ambitieux. Il s'agit dexaminer comment une culture politique est soigneusement entretenue par une rhétorique destinée à renforcer l'idéologie dominante. D'où la possibilité pour l'auteur de se prononcer sur la nature même de l'idéologie : [
] même si le consensus est l'une de ces illusions que l'Amérique se fait sur elle, n'a-t-elle pas une influence sur les propos de ses dirigeants ? Les mots ne sont pas que des outils rhétoriques qui représentent ou trahissent une réalité extérieure au discours, ils contribuent également à créer cette réalité (p. 289). Malgré sa volonté de s'engager dans un débat aux implications politiques, L. Benoit ne manque pas de nuancer ses propos. Sexpliquant sur sa méthode, il souligne, en faisant reférence à Mikhail Bakhtine : Les discours d'investiture ne se contentent pas du rappel des mythes fondateurs. Par-delà leur apparence constative apparaît leur rôle performatif de création des valeurs. Le travail de fabrication du consensus dépend des circonstances politiques et du rapport de forces. Le problème n'est donc pas de savoir si les allocutions sont idéologiques ou pas, mais plutôt d'étudier leur caractère plus ou moins ouvertement dialogique et d'essayer de relier les variations formelles et génériques à l'évolution de la conjoncture (p. 99). Ici se pose la question dune possible ambivalence ou ambiguïté entre démarche universitaire et buts politiques. Quoi quil en soit, il saccomplit dans ce livre un mariage assez rare entre, dune part, lanalyse littéraire et linguistique et, de lautre, l'étude de la civilisation. Lexamen de l'évolution idéologique et des changements politiques à travers les discours présidentiels se fonde sur le commentaire de texte, exercice très prisé dans l'enseignement supérieur français. Or, l'auteur réussit à maîtriser cette technique sans (comme c'est souvent le cas) sy laisser enfermer. En effet, avec un tel sujet le grand danger est de se cantonner dans le descriptif ou dans l'analyse des mécanismes rhétoriques. Ces pièges sont heureusement évités et le résultat est de grande qualité. Certes, louvrage reste fortement marqué par son origine universitaire et conserve les caractéristiques d'une thèse, légèrement remaniée pour publication. Il est regrettable que léditeur n'ait pas introduit dinterligne entre le texte et les citations longues. Et que l'auteur n'ait pas traduit les très nombreuses citations : cela réduit le nombre potentiel de lecteurs. Mais ce ne sont là que critiques de forme, qui ne doivent décourager personne de lire un ouvrage qui est un excellent exemple de recherche en civilisation américaine. |
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