Transatlantica 2 / 2002
Pascale ANTOLIN-PIRES. LObjet et ses doubles. Une relecture de Fitzgerald. Pessac : Presses Universitaires de Bordeaux, 2000. 247 pages. Lu par Marie-Agnès Gay (Université Jean Moulin-Lyon3). Ce nest pas le moindre mérite de cet ouvrage que de tenir le pari affiché dans son titre, à savoir nous entraîner en effet dans une relecture de Fitzgerald. La référence aux objets évoque certes la dimension mimétique du texte fitzgeraldien, si souvent réduit à un documentaire sur le Jazz Age ; mais lauteur, en traquant les doubles ou faux sens de ces objets-signes présente lenvers de cette uvre qui, plutôt que dune tradition réaliste fondée sur le mode référentiel, relève dune écriture moderniste donnant à voir le décalage entre signifiant et signifié et mettant en avant lartifice de lécriture. Létude, en quatre parties, explore le fonctionnement de lobjet, clé de voûte dun double dispositif référentiel et réflexif, et met à nu le passage dun code de représentation à un code de signification, la perte dune vérité univoque qui se fait ouverture... Malgré son foisonnement, lobjet fitzgeraldien est avant tout le site dune absence, transcendée dans une dialectique du désir. Le premier chapitre sintéresse aux éléments de la technê et aux biens de consommation qui, trompeurs, traduisent la vision pessimiste de Fitzgerald sur lAmérique matérialiste de la première moitié du vingtième siècle, mais expriment également la scission du signe. Lobjet, signe flottant, marque alors le triomphe de la fiction sur la représentation. Au second chapitre, lauteur étudie le rôle stratégique de lobjet dans la construction de lunivers narratif pour montrer là encore que lobjet fitzgeraldien nest jamais engagé dans un simple procès mimétique. Lobjet signifie plus quil ne représente, et savère toujours plus fluctuant, escamotant le réel. En soulignant la mutabilité du signe, le romancier expose la fiction en même temps quil la fonde. Celle-ci devient le seul référent possible ; lancrage ne peut être quencrage. Le troisième chapitre aborde les objets de discours (images, descriptions et listes) qui, à leur tour, font et défont le sens et altèrent le code référentiel. Les images dobjets (métaphores et comparaisons), tout en renvoyant au réel, parlent surtout décriture ; machine, tissu, miroir élaborent une mise en abyme métatextuelle et signalent la spécularité dun texte qui bascule vers la métafiction. Même dualité pour la description qui, sous prétexte de convoquer le réel, est avant tout le lieu dun spectacle des signes, et pour les listes dobjets où lafflux de signifiants suggère un signifié de plus en plus évanescent. Dans le cadre de cette écriture réflexive, le sens se dessine comme vide. Le dernier chapitre, Cet obscur objet du désir , tente de démêler lenlacement du textuel et du sexuel. Lauteur évoque dabord la collection dobjets, parole équivoque ; comme lobjet manquant de la collection est le moteur du désir, le manque-à-être de la dispersion sémantique alimente la fiction désirante. De même, le fétiche est au personnage ce que la versatilité du sens est à lécrivain : un objet de désir, substitut imparfait mais également moteur du discours. Enfin les objets-seuils instaurent un espace de jeu où est mis en scène lab/sens ; mais si le sens sabsente, [ ] cest pour se faire dautant plus désirer, transformant la tragédie de la perte en une comédie du désir . Pascale Antolin-Pirès propose un exposé riche, rigoureux et progressif, écrit dans une langue à la fois claire et alerte qui, bien que dense, ne cède que très rarement à la tentation du jargon. Lauteur a le sens de la formule, comme le montrent ponctuellement certains titres, mais plus généralement son écriture qui, en traquant la multivocité fitzgeraldienne, joue à son tour avec les mots. Bien que louvrage aborde principalement les romans, dont les deux uvres de jeunesse moins souvent traitées par la critique (This Side of Paradise et The Beautiful and Damned), on relève également des allusions bienvenues à certaines nouvelles. Les micro-lectures sont toujours très fines, révélant la profondeur du texte et faisant souvent ressortir des échos prégnants. Lauteur utilise enfin un appareil critique fourni, toujours convoqué avec justesse. En revanche, on peut regretter labsence dune bibliographie qui oblige à la consultation des notes pour rechercher les références éditoriales. Pascale Antolin-Pirès nous aide à entendre la parole de ces objets que Fitzgerald trouve le moyen de [
] faire parler , parole en creux qui fait du désir le réel objet de son uvre. Au terme de cette étude, le lecteur ne peut que souhaiter (re)partir en quête du plaisir que promet le texte fitzgeraldien. |
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