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Dossier Sophie Lévy, Une exposition en blanc Cette présentation est celle dune exposition qui nexiste pas sur limportance du blanc dans la peinture moderne américaine, et des enjeux historiques et théoriques qui pourraient la soutenir. Il est toujours difficile de parler dune exposition qui nexiste pas, cest-à-dire essayer de donner une structure verbale à un exercice visuel, et phénoménologique sans corps. Lexpérience, déjà tentée, permet néanmoins de clarifier pour soi-même le sens du projet et de mesurer une réception possible. Voici donc ce quun tel agencement montrerait James McNeill Whistler 2. Symphony in White, No.2: The Little White Girl, 1864, oil on canvas, 76.5 x 51.1 cm London,TateGallery, 3. Symphony in White, No.3, 1865-1867, oil on canvas, 52 x 76.5 cm, The University of Birmingham, The Barber University of Fine Arts. 5. A Parisian Beggar Girl, c. 1880, oil on canvas, 64.5 x 43.7 cm, Chicago, Terra Foundation for American Art. 6. Fumée dambre gris, 1880, oil on canvas, 139.1 x 90.8 cm, Williamstown (MA), Clarke Art Institute John Henry Twatchman Winslow Homer Mary Cassatt 16. Closed Clam Shell, 1926, oil on canvas, 50.8 x 22.9cm, private collection. Cows Skull with Calico Roses, 1932, oil on canvas, 91 x 61 cm, Chicago, Art Institute. Charles Sheeler Sam Francis Robert Rauschenberg 20. White Paintings, 1952. Barnett Newman Agnes Martin Robert Ryman La deuxième démarche vise à dégager des problématiques qui sous-tendent le rapprochement des concepts de blancheur, de modernité et dart américain. Cest cette approche que nous avons choisie ici, en une importante concession au format de la conférence. Trois questions nous ont semblé découler du projet :
« Less is more » La géographie de lart blanc suit celle de la modernité et de labstraction.
Cest un néant qui est jeune, ou encore plus exactement, un néant davant le commencement, davant la naissance .» [Cité dans Guila Ballas, La couleur dans la peinture moderne : théorie et pratique, Paris, Adam Biro, 1997, p. 227.]
[Ibid, p. 228.] Dans la deuxième moitié du XXe siècle, elle est en Amérique. Et en particulier au début des années cinquante, lorsquune volonté de jeunes artistes déchapper à lexpressionnisme abstrait les pousse à mettre en uvre un style de la retenue. Le monochrome, et au point extrême, le monochrome blanc, semble le lieu idéal de la négation. Ad Rheinhardt, Twelve Rules for a new Academy : « No texture, no brushwork or calligraphy, no sketching or drawing, no forms, no design, no colors, no light, no space, no time, no size or scale, no movement, no object, no subject, no matter . [Cité dans Carol Blotkamp, « Introduction », Basically White, London, Institute of Contemporary Arts, 1974, p. 7.] Cette evolution était reconnue par Lucy Lippard dans son article, Silent Art en 1967 An exhibition of all-black paintings ranging from Rodchenko to Humphrey to Corbett to Reinhardt, or an exhibition of all-white paintings from Malevich to Klein, Kusama, Newman, Francis, Corbett, Martin, Irwin, Ryman and Rauschenberg would be a lesson to those who consider such art empty. [Lucy R. Lippard, « The Silent Art », Art in America, janvier-février 1967, p. 63.] Par exemple, dans « Vers un nouveau Laocoon » publié dans Horizon en septembre 1940, il écrit :
ou dans « Modernist Painting », publié en 1960 dans Forum Lectures :
Une uvre de Rauschenberg de 1953, Erased de Kooning Drawing (fig.19) constitue une transition parfaite avec lidée que nous voulons développer ensuite. En effet, de prime abord, lobjectif transgressif de luvre semble de transformer un De Kooning en une non-image monochrome. De ce fait, la jeune génération efface symboliquement celle qui lui a précédé, tout en créant une nouvelle uvre, en contradiction avec lexpressionnisme, une uvre monochrome. Pourtant, par les traces encore lisibles du dessin effacé, cest tout un autre univers que suggère cette uvre : la projection des images du spectateur, linsertion de limaginaire, qui substitue au rien linfini possibilités de lécran. Cette idée de non-lieu doit beaucoup à une conférence que Christine Savinel, professeur à Paris III a donnée au Musée du Louvre en mars 2003 : « Le cosmopolitisme de Whistler, Sargent, Wharton et James : une relation critique ». [A paraître dans Matthias Waschek et Veerle Thielemans (ed.), LArt américain. Identités dune nation, Paris, Musée du Louvre, Terra Foundation for American Art, ENSBA, 2005, pp. 84-102.] Elle y décrit le cosmopolitisme de la fin du XIXe siècle comme une sortie nécessaire du consensus identitaire que représentait la Hudson River School pour lAmérique. Il nest sans doute pas indifférent que ces deux peintres, ainsi que Mary Cassatt, la troisième grande expatriée, aient beaucoup utilisé la couleur blanche. Cette non-couleur renforce encore la création dun non-lieu pictural. Chez Sargent, se joue comme un caché de son art, comme le rapport dialectique entre ses portraits mondains (où Christine Savinel remarque pourtant les fonds informels, voir fig. 8) et ses scènes de genre dété, à la sensualité débridée (fig. 10). La désappropriation se fait par la représentation de non-lieux. La déréalisation du lieu permet lavènement dun lieu de lart, toujours étrange, toujours flottant. « Il est évident que cette déprise-là est celle de tout grand art qui sait quil ne peint que le rien et quelle ne passe pas forcément du tout par le cosmopolitisme. Mais pour la peinture américaine, celui-ci a probablement représenté le chemin obligé pour se dégager dune double méprise, celle du réel et celle de lidentité nationale . » [Ibid., p. 95-96.] Curieusement, cest aussi cette notion flottante, qui réapparaît au cur des uvres monochromes blanches des artistes américains des années 50. A ce propos, on peut prendre comme exemple les White Paintings que Rauschenberg réalise en 1951 (fig. 20). Ici, je mappuie sur une excellent article de Branden Joseph, « Blanc sur blanc : Robert Rauschenberg et John Cage » [paru dans les Cahiers du Musée National d'Art Moderne, no. 71, printemps 2000, pp. 4-31.]. Il y cite la lettre de Robert Rauschenberg à Betty Parsons, le 18 octobre 1951, depuis le Black Mountain College sur les White Paintings :
Si cette description najoute au topos moderniste que la dimension spirituelle , cest plus tard, à travers sa collaboration avec John Cage quil peut « échapper aux apories liées à une vision fondée sur la négation, et ouvrir une voie nouvelle au-delà du terminus de la peinture moderniste représenté par le monochrome ». En effet, John Cage, dans un article quil consacre à son ami décrit ces uvres de la manière suivante : les White Paintings sont des aéroports pour les lumières, les ombres, les particules.[John Cage, « On Robert Rauschenberg, Artist, and His Work », Silence, Middletown (Conn.), Wesleyan University Press, 1961, p. 102.] Cette idée qui évoque irrésistiblement la photographie du Grand Verre de Marcel Duchamp par Man Ray, Élevage de Poussière, permet paradoxalement luvre de Rauschenberg de prendre une nouvelle direction, le fait sortir de limpasse dune logique de réduction au médium, pour lamener vers lidée dun écran, personnel à chaque spectateur, pour léphémère. De même, ce sont les tableaux blancs de Rauschenberg qui encourageront Cage à composer 433 de silence, un pièce où une seule note est tenue pendant cette durée, tandis que le spectateur est invité à écouter les bruits ambiants. Il est difficile de parler de couleur en évitant la question des races. Pourtant, elle est souvent oubliée lorsque lon parle du blanc. Comme si, la question des races ne se pose pas du point de vue de la race dominante, mais de la différence qui sétablit avec elle. Comme lécrit Richard Dyer : « Une personne blanche qui parle ne reconnaît presque jamais quelle sexprime depuis cette place et cest sans doute ce qui définit la condition de blanc et son pouvoir : les blancs exigent et obtiennent lautorité pour ce quils disent en nadmettant pas, ou en ne prenant pas conscience, que, la plupart du temps, ils ne parlent que au nom de la blancheur . » [Richard Dyer, White, London, Routledge, 1997 , XIV] Le blanc tire son pouvoir idéologique de sa transparence autoproclamée, de son auto-élévation au-dessus de la catégorie même de race. Pourtant, il ne devrait pas être impossible de lire également ce portrait par Sargent daristocrate anglais blond (fig. 8), à la peau diaphane et tout habillé de blanc, placé devant une colonne grecque, comme le renforcement par le portrait de lidée de « crème de la crème ». Ceci est bien entendu à rapprocher dune société coloniale, qui renforce sa position de blanc en lopposant à celle des indigènes, en particulier par le vêtement. On peut également remarquer que toute lhistoire de labstraction, pour universelle quelle semble dans la narration de lhistoire de lart, a été produite par des blancs. |
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