rrrrrrAlexandre Dumas pensait (je cite de mémoire) que « lon peut violer lHistoire à condition de lui faire un bel enfant". Il savait de quoi il parlait, il lui en avait fait dassez beaux. La métaphore, cest entendu, nest pas du meilleur goût, mais, sagissant de la question toujours controversée de ladaptation cinématographique, lidée me paraît assez juste. Un cinéaste peut semparer dun roman pour le malmener, le triturer et le défigurer, le tirer vers lui au point de le rendre méconnaissable. Peu nous importe sil a assez de force et dimagination pour en faire un film à lui. Quand Stroheim adapte McTeague, Orson Welles Le Procès ou John Huston Dubliners, il nous indiffère quils aient été fidèles ou non à Norris, Kafka ou Joyce. Limportant, cest que dune oeuvre ait pu sengendrer une autre, que dun texte-prétexte ait pu naître un film qui tient debout par lui-même.
rrrrrrOn ne ferait donc pas grief à Robert Benton davoir « trahi » The Human Stain sil avait réussi à tirer du roman de Philip Roth un film vraiment convaincant. Malheureusement, loin de faire preuve dinfidélité créatrice, Benton sest contenté de mettre un roman âpre et turbulent en jolies images. La couleur du mensonge (pourquoi ce titre insipide en français?) est bien « ladaptation » dune oeuvre littéraire aux normes hollywoodiennes et aux contraintes du star system. Certes, dans les dialogues on retrouve parfois la verve de Roth, mais le scénario de Nicholas Meyer privilégie - il fallait sy attendre - la liaison clandestine de Coleman Silk et de Faunia Farley aux dépens de tout le reste. Disparus sans laisser de trace, les enfants de Coleman. La redoutable et exécrable Delphine Roux, figure majeure du roman, nest plus quune silhouette furtive, et dans Nathan Zuckerman, sensiblement rajeuni, on a du mal à reconnaître le confident-narrateur de Roth.
rrrrrrRestent les deux têtes daffiche, Anthony Hopkins et Nicole Kidman. Ils sont, hélas, inoubliables: on noublie à aucun moment les stars en représentation pour découvrir les personnages à la dérive auxquels ils sont censés donner souffle et chair. Si Hopkins, en vieux lion encore rugissant, ne cabotine pas trop et réussit parfois à nous émouvoir, Nicole Kidman est trop belle, trop sûre de sa beauté et trop sûre delle-même pour quon puisse croire un seul instant à son rôle de jeune paumée et elle-même ny a vraisemblablement pas cru. Ses qualités dactrice ne sont pas en cause, mais elle nest de toute évidence pas (encore) faite pour jouer les souillons, passer la serpillère ou traire les vaches.
rrrrrrErreur de casting? Oui, mais pas seulement. Cest le film tout entier qui nous laisse sur notre faim. Pourtant il ne commence pas trop mal: une atmosphère ouatée, un beau paysage hivernal, une voiture filant sur une route au milieu de bois enneigés. Et puis, sans tarder, laccident fatal, la mort brutale des amants qui fait de la suite du récit un long retour en arrière. Benton et Meyer crurent bon de commencer par la fin et leur agencement narratif riche en flashbacks pouvait donner lieu à un film-enquête passionnant. Mais manque ici lénergie rageuse et ravageuse qui emporte lécriture de Roth. Benton naime pas ce qui décape et dérange. Au lieu de chercher à restituer dune manière ou dune autre la sauvagerie du roman, il lisse, aplatit et affadit, semploie consciencieusement à banaliser le scandaleux et réussit le tour de force de neutraliser ce que le livre de Roth a de politiquement incorrect par la correction frileuse dune mise en scène sans surprise.
rrrrrrFin elle aussi prévisible de ce bref compte rendu: voir « La Couleur du mensonge » nest pas un must; allez plutôt (re)lire le superbe texte de Roth.