Annick Foucrier et Marie-Jeanne Rossignol, "Méthodologie de la civilisation américaine"

Marie-Jeanne Rossignol, "Quelle(s) discipline(s) pour la civilisation ?"

 

(les chiffres dans le corps du texte renvoient aux notes situées en fin de texte)

 

Introduction

1."Malaise" dans la civilisation

a)L'enseignement de la civilisation en DEUG d'études anglophones

Depuis au moins cinq ou six ans, les rencontres professionnelles des américanistes et les conversations privées de certains d'entre eux sont hantées par des questions récurrentes : la civilisation est-elle une discipline, a-t-elle des méthodes particulières, n'est-elle qu'un milieu professionnel, quelles sont ses liens avec d'autres sciences sociales et humaines, disciplines reconnues, dans l'enseignement et la recherche ?

A l'origine, les premiers civilisationnistes (GB, US) avaient pour la plupart une formation en littérature ; ils se sont ouverts à différentes sciences sociales (science politique, histoire, sociologie etc) au cours des années soixante-dix, et ont ainsi fondé les études de civilisation sur un substrat interdisciplinaire, notion alors très en vogue. Même s'il existe aujourd'hui un "malaise" dans la civilisation, rappelons cependant les acquis de cette branche de l'anglicisme qui est née après mai 1968. En DEUG et licence d'études anglophones, la civilisation n'est plus simplement le "background socio-historique" de la littérature, auquel faisait référence en 1990 un président de l'agrégation 1. L'enseignant de civilisation axe son travail autour d'un exercice-roi, le commentaire de document, dont la technique, pour l'essentiel, ne diffère pas de celle du commentaire de document en histoire (voir les recommandations méthodologiques du manuel de Gaudin et du manuel d'histoire de Milliot et Wievorka 2) et se fonde sur le substrat méthodologique commun à toutes les sciences sociales 3. Cet exercice établit la filiation méthodologique de la civilisation avec les sciences sociales de façon très concrète.

En outre, il y a bien longtemps que la nécessité de l'enseignement de la civilisation n'est en fait plus contestée dans le milieu angliciste car les spécialistes d'études anglophones s'accordent pour penser que la langue ne peut s'enseigner qu'en conjonction avec la culture, définie au sens large, des pays où elle est pratiquée. Ce qui implique, en général, un enseignement de l'histoire, de la société et des institutions de ces pays, donc de contenus typiques des sciences sociales.

A mon avis, ce n'est pas au niveau de l'enseignement en DEUG que se situe le "malaise" de la civilisation, si malaise il doit y avoir.

b)Civilisation, interdisciplinarité et sciences sociales

C'est surtout lorsqu'on accède au monde de la recherche en civilisation que l'on peut être confronté au "malaise", ou plus précisément au problème épistémologique posé par la civilisation. Un civilisationniste est en constant contact avec des chercheurs appartenant à des disciplines dites constituées, qui se définissent par rapport à elles (implicitement et explicitement) et exigent du civilisationniste qu'il fasse de même.

Or, à la différence des autres sciences humaines et sociales, la civilisation ne peut se prévaloir de concepts fondateurs particuliers et d'une historiographie spécifique. La civilisation n'a pas d'ancrage disciplinaire ferme, disent à juste titre les collègues spécialistes de linguistique et de littérature, ou les historiens, sociologues et anthropologues avec qui dialoguent les civilisationnistes. En outre, ce qui constituait autrefois la force de la civilisation, l'interdisciplinarité, remporte aujourd'hui moins l'adhésion de la communauté scientifique ; certains réclament un retour aux disciplines par souci de clarté méthodologique et conceptuelle, même si, paradoxalement, les recherches et les savoirs frontaliers connaissent un engouement certain 4. Mais il s'agit alors de multidisciplinarité ou de pluridisciplinarité (psychiatre et ehtnologue par ex). Les civilisationnistes, eux-mêmes insatisfaits et inquiets, conscients du regain disciplinaire surtout lorsqu'ils y participent, constatent, comme notre collègue britanniste Elisabeth Gaudin, "l'impossibilité d'une définition épistémologique de la civilisation"5.

Ainsi derrière la question "Quelles méthodes pour la civilisation", je pense qu'il faut lire d'autres questions, plus provocatrices, telles que "Les méthodes de la civilisation sont-elles des méthodes interdisciplinaires ? Mais qu'est-ce que cela veut dire, appliquer des méthodes interdisciplinaires ? Est-ce que cela veut dire qu'il faut appliquer les méthodes d'une science sociale en particulier selon la source ou la recherche considérée ? Mais laquelle ? Et comment, avec quelle formation disciplinaire pour des chercheurs au départ tous lignuistes ? Doit-on pratiquer ces méthodes dans son enseignement et d'autres dans sa recherche ?" Toutes ces questions portent en fait sur la nature de l'enseignement et de la recherche en civilisation, sur cette fameuse interdisciplinarité autrefois embrassée comme une libération et qui paraît maintenant un fondement instable. Finalement, c'est tout le rapport entre la civilisation et les sciences humaines qu'il nous appartient peut-être ici de repenser et de refonder en tant que regroupement scientifique.

 

 

2.Devant ce constat de "malaise", étudions la validité des réponses apportées jusqu'ici par les américanistes aux interrogations sur leur discipline

a)La civilisation, discipline passe-frontières des sciences sociales

Traditionnellement, certains collègues pensent que l'on peut définir la civilisation comme discipline, mais une discipline passe-frontières, transdisciplinaire, en fait interdisciplinaire. Même si ce point de vue est l'objet de nombreuses critiques (voir plus haut), il mérite d'être évalué car il n'est pas sans fondement. Il s'inspire en effet de la perméabilité notoire des frontières entre sciences sociales L'interdisciplinarité est en effet inscrite dans la tradition intellectuelle des historiens, qui ont toujours dialogué avec les spécialistes d'autres sciences humaines 6.

Puisqu'on sait bien qu'entre politologues et sociologues, anthropologues et historiens, s'effectue un fructeux transfert d'idées hors du milieu des études américaines, pourquoi la même chose ne se produirait-elle pas au sein des études américaines ? La civilisation serait donc tout simplement une discipline aux frontières de plusieurs sciences sociales 7.

Or, cette conception se heurte à deux objections majeures. Tout d'abord, comme je l'ai suggéré plus haut, dans l'état actuel de la pratique épistémologique, l'interdisciplinarité n'est acceptable que si le chercheur se définit à un moment par rapport à une science sociale particulière, un point d'ancrage conceptuel et méthodologique précis. Une discipline ne peut se fonder sur une base instable, entre deux, ou entre plusieurs disciplines, en flux épistémologique constant, au risque de n'être vraiment nulle part (et c'est bien la situation actuelle de la civilisation).

Par ailleurs, les sciences sociales, même si elles partagent certaines méthodes et échangent leurs savoirs, ont chacune une histoire, des écoles de pensée que leurs spécialistes doivent connaître, des débats historiographiques ou intellectuels auxquels on doit se rapporter, ne serait-ce que pour s'en distinguer. Peut-on attendre du chercheur en civilisation, qui vient de consacrer une bonne partie de sa formation à la maîtrise de la langue anglaise, qu'il domine cette masse d'information tout en poursuivant une recherche personnelle ? Il semble plus réaliste de penser qu'ayant défini une problématique américaniste transdisciplinaire, il ou elle se contentera d'utiliser les apports d'une ou deux sciences sociales, d'autant plus que toutes les sciences sociales ne sont pas conjugables et juxtaposables dans le cadre d'une même problématique.

La civilisation peut franchir les frontières disciplinaires, cela n'en fait pas une discipline, mais plutôt un carrefour disciplinaire à géométrie variable : ce n'est pas sous cet angle qu'elle peut trouver sa propre légitimité épistémologique.

b)Les "American Studies" comme discipline ?

Dans cette recherche d'une définition épistémologique de la civilisation, les américanistes répondent souvent que l'américanisme en lui-même est une discipline, telle qu'elle se reflète dans les travaux des membres d'associations d'Etudes américaines, en France, en Europe et avant tout aux Etats-Unis. Car on ne saurait oublier que les civilisationnistes spécialistes des Etats-Unis sont, ou ont été, sous l'influence de leurs collègues américains 8.

Pour avoir un meilleur aperçu des disciplines inclues dans les Etudes américaines aux Etats-Unis, décrivons brièvement le contenu des revues américanistes : les articles publiés 9 portent essentiellement sur tout ce qui a trait à la culture américaine - par culture on entendra aussi bien la définition anthropologique du terme que le sens plus traditionnel du terme - 10, de la peinture aux films, en passant par la littérature et la musique. Mais l'histoire politique et l'histoire ethnique, les débats historiographiques, la religion et l'environnement trouvent également leur place ; seuls sont laissés de côté le droit, l'économie, la sociologie et, les relations extérieures de la nation américaine, autant de thèmes qui sont en revanche abordés par les américanistes européens 11. Les méthodologies utilisées renvoient aussi bien à l'analyse esthétique ou littéraire qu'à l'analyse historique quoique l'approche générale s'apparente de plus en plus aux "cultural studies". Nous reviendrons sur cet aspect des choses.

L'existence d'associations américanistes, d'un corpus de travaux présentant une certaine unité, sinon une certaine cohérence, n'implique cependant pas une discipline unique. Les américanistes ont un objet en commun, la culture américaine, mais pas de discipline commune. D'ailleurs, les " area studies", quelle que soit leur zone d'étude choisie, n'ont jamais constitué de discipline 12. Les praticiens américains de la discipline le savent bien et sont fort chagrins. Depuis les origines, les américanistes américains, tout en prônant et pratiquant l'interdisciplinarité, recherchent pourtant une "méthode", "théorie ou mission ... particulière" pour leur discipline. Aujourd'hui, même les présidents de American Studies Association admettent que cette quête a échoué : les Etudes américaines constituent davantage un "mouvement" de chercheurs en sciences sociales et humaines rassemblés par l'étude d'une même aire culturelle, qu'elles ne s'apparentent à une discipline, car elles ne reposent finalement sur aucun cadre conceptuel propre ou même sur un milieu professionnel entièrement spécifique 13. Ce n'est donc pas dans le cadre des Etudes américaines que la civilisation américaine peut trouver l'ancrage disciplinaire qui lui manque ; la spécificité de ses recherches ne tient qu'à son objet, l'aire culturelle et géographique nord-américaine, en fait les Etats-Unis, la première puissance au monde.

Or, pour des raisons idéologiques, cet objet particulier la distingue d'autres associations ou regroupements professionnels de type "area studies". Depuis les années 1960, les principes fondateurs et les finalités des Etudes américaines ne vont effectivement pas sans poser problème. Bref rappel historique: aux Etats-Unis comme en Europe, le développement de la discipline après 1945 avait accompagné l'atmosphère défensive des débuts de la Guerre froide ; il s'agissait d'étudier le "caractère américain" sous toutes ses formes et de propager ainsi ses valeurs soit-disant constitutives, liberté individuelle et liberté d'entreprise. Des financements privés et fédéraux furent mobilisés pour une véritable croisade idéologique nationaliste contre laquelle se rebellèrent ultérieurement des américanistes "radicaux", qui dépeignirent alors une identité américaine plus conflictuelle que consensuelle. Mais il s'agissait quand même de décrier le "caractère américain" qui restait donc au centre des préoccupations des américanistes.

Aujourd'hui, alors que la pertinence des catégories nationales est contestée par de nombreux chercheurs au profit de réflexions globales, internationales, ou comparatives, cet ancrage de la discipline dans les débats nationaux est perçu comme un handicap par certains de ses propres praticiens américains ; ils essaient d'y remédier en faisant de leur association un lieu de débat sur le multiculturalisme et l'identité américaine, mais cela ne constitue pas une véritable ouverture sur l'international. D'autres, moins nombreux, appellent vigoureusement à une internationalisation concrète de la discipline qui verrait les travaux des américanistes non-américains systématiquement inclus dans les programmes de lectures des étudiants et des enseignants étrangers recrutés dans les American Studies Departments aux Etats-Unis 14.

On peut douter de la réalisation de tels voeux pieux. Il semble plus raisonnable de compter sur les Européens pour renouveler les Etudes américaines en se dégageant du joug des problématiques traditionnellement importées des Etats-Unis et en renouvelant les approches du sujet (attitude encouragée par Toinet, Guerlain, Kaenel). Un tel renouvellement est-il compatible avec une perspective de recherche uniquement centrée sur l'objet "Etats-Unis" ? C'est ce que l'on verra plus loin.

c)Les "cultural studies" comme discipline d'avenir pour la civilisation

De nombreux américanistes, américains et européens, rejettent pourtant l'idée selon laquelle les Etudes américaines ne trouveraient leur cohérence que dans leur objet, et non dans une discipline commune. Il me semble qu'ils postulent implicitement que la civilisation américaine, dans la mesure où elle a traditionnellement toujours établi des ponts entre littérature et études socio-historiques (exemple les Southern Studies, les Black Studies etc) est appelée à s'épanouir sous l'égide des "cultural studies" telles qu'elles seraient enseignées en Angleterre et aux Etats-Unis.

Que signifie l'expression "cultural studies" ? S'agit-il d'une nouvelle discipline ou d'une remise en cause d'un certain nombre de disciplines au profit d'un seul paradigme interprétatif ? Exprimé par la britanniste Elizabeth Gaudin, un premier sens de cette expression appliqué à la civilisation privilégie une ouverture accrue vers toutes les sciences sociales et humaines, ce qui correspond à la pratique de nombreux civilisationnistes. Dire que la civilisation appartient aux "cultural studies", selon elle, cela "implique un faisceau d'approches possibles... une lecture en quelque sorte transversale d'un même phénomène, sans cloisonnement arbitraire ou préétabli qui appauvrisse la réflexion. ... la littérature et la production littéraire font autant partie de la "civilisation" que l'histoire de l'art, l'histoire des idées ou les réalités socio-économiques et politiques qui, on ne sait trop pourquoi en relèveraient tout naturellement...". 15

Mais il ne s'agit là que d'une définition interdisciplinaire de la civilisation qui nous renvoie, à quelques modifications près, aux mêmes interrogations que la définition de la civilisation comme discipline passe-frontières.

Aux Etats-Unis et au Royaume Uni, en fait, les "cultural studies" ont peu de choses à voir avec cette définition : elles se développent aujourd'hui sous l'impulsion de théories récentes sur le discours (Dérida, Foucauld, Cixious) qui placent le pouvoir et les relations de pouvoir au centre d'une nouvelle grille d'interprétation des textes. Les textes d'ailleurs - quelle que soit leur nature, mais les textes littéraires sont privilégiés - et leur interprétation dominent les "cultural studies" et le monde devient texte pour les tenants de ce type de recherches. Au fond, les méthodes des "cultural studies" empruntent essentiellement à la nouvelle critique littéraire, qui s'est ouverte sur des sujets qui échappaient autrefois aux recherches sur la littérature, comme le colonialisme, l'oppression féminine et la discrimination raciale.

Mais en essayant d'imposer un nouveau paradigme problématique transdisciplinaire, les "cultural studies" laissent peu de place au généreux "faisceau d'approches" que j'évoquais, respectant les méthodologies et les interrogations des uns et des autres. Pourquoi ? Sur le plan pratique tout d'abord, l'accent mis par les "cultural studies" sur les textes littéraires risquerait d'exclure de fait juristes, politologues et économistes, pour ne citer qu'eux. Sur le plan théorique, les "cultural studies" appartiennent également à un mouvement plus large de remise en cause des fondements objectifs de la connaissance scientifique, le mouvement postmoderne. Quelle que soit la discipline considérée, les théories déconstructionnistes ou "postmodernes" remettent en cause les fondements positivistes des disciplines traditionnelles en s'attaquant à la notion d'"objectivité" de manière radicale 16.

Ce postulat rend très difficile, voire impossible, le dialogue entre partisans des "cultural studies" et la majorité des historiens, aux Etats-Unis, mais surtout en France 17. Face aux tenants des "cultural studies" qui postulent que tout discours historique se résume à la production d'une narration, d'un récit, d'une écriture enfin, les historiens se réclament encore détenteurs d'un savoir, d'une connaissance du réel et présentent leur science comme "instrument critique de compréhension du présent", indispensable à la recherche de la vérité 18. Entre littéraires et historiens adeptes du "linguistic turn", des ponts peuvent certainement être jetés ; mais entre eux et les historiens empiristes, ou les sociologues, un fossé méthodologique et théorique s'est creusé. Et l'on ne voit pas comment on pourrait le combler puisque, explique Gérard Noiriel, les "partisans du LT " ironisent "sur les "naïvetés" des historiens ordinaires qui croient encore à "l'objectivité", à la "vérité" et à la réalité" et affirment que "la distinction entre discours "réaliste" et discours de "fiction" est désormais caduque 19.

 

3.Des disciplines pour la civilisation américaine

Le bilan de cette évaluation des réponses traditionnellement apportées au problème épistémologique posé par la civilisation est donc négatif. Ni l'axe interdisciplinaire, ni l'américanisme, ni les "cultural studies" ne répondent aux exigences disciplinaires de la communauté scientifique en science sociale. Depuis quelques années, c'est à travers un dialogue direct avec les spécialistes des disciplines constituées que les américanistes refondent la civilisation et apportent ainsi une réponse concrète aux interrogations de leur communauté scientifique propre (d'accord avec F. Weil sur ce point).

a)L'illusion objectiviste et l'illusion disciplinaire

Qu'on ne se méprenne pas : face à l'illusion postmoderne d'un relativisme absolu, je ne compte pas invoquer une quelconque illusion objectiviste. Je ne veux pas ici faire une apologie de la notion de discipline qui serait dépourvue de tout sens critique ; au contraire, je m'appuie sur une définition critique de cette notion, que voici.

Selon moi, l'opposition entre "postmodernes" et "modernes" ne se résume pas à une opposition entre l'avenir de la recherche et son passé 20. Les chercheurs qui n'embrassent pas les conclusions les plus extrêmes des disciples de Derrida ne sont pas tous victimes de l'illusion objectiviste et disciplinaire : ils sont conscients de construire leur objet, d'être eux-mêmes porteurs, lorsqu'ils établissent une problématique et organisent une démonstration, de valeurs et de préjugés, d'être enfin des individus subjectifs 21. Mais, d'un autre côté, ils sont attachés aux principes empiriques constitutifs des sciences sociales : pour les historiens, cela implique l' utilisation d'archives, même si la notion d'archive est toujours à redéfinir ; pour les anthropologues et les sociologues, cela signifie le recours à des enquêtes, des sondages, envers lesquels ils demeurent toujours critiques 22.

La notion de discipline peut signifier autre chose qu'un étroit carcan prédicatif. Même s'ils ne revendiquent plus la notion d'"objectivité", les chercheurs en sciences sociales trouvent dans une "pratique disciplinaire", fondée sur une accord collectif, le moyen de fonder leur recherche de conclusions scientifiques, sans jamais penser que celles-ci soient définitives 23.

Ces critiques éclairés des "cultural studies" (car il existe également d'irréductibles positivistes dont nous ne parlerons pas ici) expriment des réserves justifiées envers les apories auxquelles conduit le postmodernisme dans la pratique des sciences sociales 24.

b)Au-delà de l'illusion disciplinaire, l'utilité d'un dialogue avec les disciplines

Depuis une bonne dizaine d'années environ, certains américanistes français, dont les travaux sont ancrés une tradition empirique mais éclairée des sciences sociales, et se rapportent plus précisément à l'une ou à l'autre de ces sciences, ont tiré les conclusions suivantes de tout ce qui précède : si l'américanisme n'a pas de méthodologie particulière, si les "cultural studies" referment autant de portes qu'elles prétendent en ouvrir, alors peut-être est-il temps de se rapprocher des disciplines constituées pour affiner sa propre méthodologie au contact avec des milieux idoines. Ce faisant, ils ne cèdent pas une quelconque illusion disciplinaire, comme je l'ai expliqué plus haut ; ils veulent simplement profiter du creuset intellectuel que représente chaque discipline, quitte à passer d'une discipline à l'autre en toute connaissance des difficultés d'une interdisciplinarité réelle.

Comme exemples, on pourrait citer Catherine Pouzoulet et Vincent Michelot, en science politique ; Catherine Lejeune en anthropologie ; Divina Frau-Meigs en sciences de la communication, sans parler des nombreux américanistes qui se sont rapprochés du milieu historien sous l'impulsion du Centre d'études nord-américaines de l'EHESS ou du Centre de Recherches sur l'Histoire des Etats-Unis dirigé par Elise Marientras (Barbara Karsky, Naomi Wulf, Nathalie Caron). Cette liste n'est évidemment pas exhaustive. Pour le moment, le trait d'union de ces civilisationnistes reste l'objet de leurs études, c'est-à-dire, l'aire culturelle nord-américaine. A travers leurs travaux, on découvre une civilisation moins interdisciplinaire, mais davantage pluridisciplinaire ou multidisciplinaire, ouverte vers l'extérieur, vers les sciences sociales, et répondant à leurs exigences méthodologiques.

Je prendrai l'exemple de l'histoire, que je connais le mieux, pour tenter de montrer en quoi l'ancrage disciplinaire constitue un enrichissement pour les civilisationnistes (exercice superfétatoire, car je suis convaincue qu'aucun civilisationniste ne doute de l'utilité de ce travail). Aux Etats-Unis, on constate que l'histoire américaine s'organise largement hors de l'association interdisciplinaire American Studies, et même de l'association d'historiens American Historical Association, pour fédérer ses praticiens au sein de l'Organization of American Historians et d'organisations plus spécifiques comme la Society for the History of the Early Republic. Ce sont les revues qui émanent de ces sociétés qui reflètent le mieux les débats et controverses de la profession et offrent les informations les plus complètes en matière de comptes rendus, congrès et bourses. On comprend donc qu'en France, les historiens américanistes ne puissent se contenter de regroupements multidisciplinaires comme l'AFEA, mais aspirent à des rencontres plus spécifiques, comme le congrès des historiens européens de l'Amérique organisé tous les deux ans par Cornelis Van Minnen au Roosevelt Study Center : en Europe aussi, l'histoire affirme sa spécificité par rapport aux autres disciplines des études américaines.

Je n'y vois ni séparatisme des historiens, ni ambition dominatrice de l'histoire, mais un simple réalisme intellectuel et professionnel.

c)Risques et avantages de ces rapprochements pour la civilisation américaine

Mais, à se rapprocher ainsi de disciplines constituées extérieures au milieu angliciste, la civilisation américaine ne court-elle pas le risque d'une certaine fragmentation, chaque spécialiste allant chercher ailleurs une stimulation et des informations précises que les études américaines ne peuvent que refléter indirectement ou incomplètement ? On peut penser que l'émigration des spécialistes sera toujours limitée par l'absence de reconnaissance professionnelle à laquelle les américanistes seront confrontés au dehors. Par reconnaissance, je ne veux pas ici parler d'une reconnaissance scientifique que les autres disciplines, en France ou aux Etats-Unis, accordent volontiers aux chercheurs compétents 25. Je veux parler d'une reconnaissance purement professionnelle.

Une discipline ne se distingue effectivement pas seulement par des méthodes spécifiques, des paradigmes et des concepts fondateurs, des types de sources et des débats entre écoles d'interprétation opposées ; elle se caractérise également par un ""communauté" professionnelle" qui procède au recrutement des enseignants-chercheurs, à leur évaluation, et accélère ou ralentit les carrières selon que ceux-ci se conforment ou non aux critères en vigueur dans la communauté 26. C'est à ce titre qu'on peut dire que les anglicistes forment une discipline universitaire. Une des règles de cette discipline, en ce qui concerne les civilisationnistes, c'est qu'ils consacrent leur travail à une aire culturelle anglophone. Ainsi les civilisationnistes se séparent-ils en américanistes, britannistes, irlandisants et australianistes, et leur recherche n'est validée professionnellement par les instances de la profession que si elle porte bien sur l'objet "Etats-Unis", "Australie" ou "Irlande". La plupart des américanistes risquent donc, quelque que soit leur attachement à une discipline particulière, de rester fidèles aux Etudes américaines par pure logique professionnelle, pour le plus grand bien de l'américanisme français.

Mais il est également possible que la fréquentation d'autres milieux professionnels et scientifiques français rende les américanistes très indépendants des problématiques américanistes classiques - souvent importés des Etats-Unis - et de ce fait, très critiques envers la pertinence ou la richesse d'efforts de recherches qui seraient uniquement concentrés sur l'aire nord-américaine. Comme je l'ai évoqué tout à l'heure, quelques américanistes américains eux-mêmes cherchent à dépasser le cadre américano-centriste des Etudes américaines en en internationalisant les perspectives, sans toutefois dépasser l'attachement à l'objet "Etats-Unis" (voir note 14). A l'heure des interrogations globales, et d'un certaine méfiance envers les entités nationales, il semble légitime de remettre en cause l'étude d'une nation comme finalité d'une recherche qui repose ainsi implicitement sur la notion d'identité : faut-il dans ce cas déconstruire le cadre traditionnel des Etudes américaines pour aller plus loin dans les recherches sur les Etats-Unis ?

Certains chercheurs et certains centres de recherches semblent aller dans ce sens. Sophie Body-Gendrot a récemment étudié les problémes urbains aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et en France de manière comparative 27. Au-delà même du comparatisme, le Centre d'études de la diaspora africaine de Geneviève Fabre, en réunissant spécialistes des Noirs américains, des africains-américains de la zone caraïbe, et des Africains eux-mêmes, s'inscrit dans une perspective d'études trans-nationales et trans-disciplinaires autour d'une problématique commune. (Mais ce centre même donne-t-il une place aux membres de la diaspora non anglophones ? Et comment une telle ouverture serait-elle perçue par les instances professionnelles ?) De même le centre de recherches Suds d'Amérique dirigé par Jacques Pothier s'est toujours ouvert aux spécialistes du Sud des Eats-Unis et à ceux de l'Amérique centrale et du Sud. Il y a été établi une fructeuse collaboration entre spécialistes de disciplines et d'aires culturelles distinctes autour de problématiques pertinentes où les Etats-Unis ne sont plus qu'un des éléments d'une réflexion.

Ainsi échappe-t-on à l'emprise de l'objet "Etats-Unis", ce qui, à l'heure où la nation américaine reste la seule puissance mondiale, le seul "empire", devient une nécessité critique 28. Comme le conseille André Kaenel, il devient fondamental d'examiner les rapports "centre-périphérie" qui unissent le reste du monde aux Etats-unis, en particulier dans le milieu des Etudes américaines, afin de le décentrer et de reconquérir un champ qui sera nécessairement différent grâce à des méthodes bien définies, des perspectives extérieures et critiques. L'avenir de la civilisation américaine me semble passer par cette reconstruction qui implique un dépassement du cadre habituel des Etudes américaines. Implique-t-elle un abandon total de ce cadre ? : c'est ce que pense A. Kaenel 29.

 

Conclusion

 

Que peuvent apporter de telles réflexions, axées sur la recherche en civilisation, à la pratique de l'enseignement de la civilisation ? On voit immédiatement l'avantage d'un ancrage disciplinaire ou multidisciplinaire pour les séminaires de maîtrise et de DEA. Qu'en est-il en DEUG et licence où l'interdisciplinarité des enseignements doit rester la règle ? Il me semble que des enseignants dont la recherche serait clairement ancrée dans une ou deux disciplines constituées pourront plus aisément et plus fermement adopter une perspective interdisciplinaire. Car on ne peut bien maîtriser l'interdisciplinaire qu'en sachant précisément ce qu'est une discipline : la civilisation ne peut parvenir à une interdisciplinarité rigoureuse dans l'enseignement qu'en

s'imposant une stricte discipline en matière de recherche. C'est la voie du renouvellement de nos perspectives, de notre reconnaissance par la communauté scientifique extérieure, à laquelle les civilisationnistes ne peuvent pas ne pas appartenir. Le terme de civilisation est-il approprié à cette transformation du champ ? Je ne le pense pas.

 

2)J'envisagerai tout d'abord la conception traditionnelle de la civilisation américaine qui en fait une catégorie particulière d'"area studies" ou a)discipline interdisciplinaire axée sur une zone culturelle et géographique. A ce sujet on sera amené à se demander b) si les Etudes américaines constituent une discipline et c) si les "cultural studies" peuvent constituer un cadre disciplinaire fédérateur pour l'américanisme. Les différentes définitions interdisciplinaires qui apparaissent dans cette conception, on le verra, sont peu satisfaisantes.

3)Dans un deuxième temps, j'envisagerai une conception plus récente, et dans une certaine mesure iconoclaste, de l'américanisme en civilisation. Celle-ci voit dans le milieu des chercheurs américanistes un rassemblement presque purement professionnel de chercheurs appartenant en fait à des disciplines constituées (qu'est-ce qu'une discipline constituée ?, vaste débat sur lequel nous aurons un peu le temps de nous pencher). Il s'agit d'une tendance qui a toujours existé dans l'américanisme français, mais qui prend plus d'ampleur aujourd'hui. Les chercheurs qui s'y rallient accordent une importance majeure à la discipline qu'ils ont choisie (histoire, sociologie, anthropologie), à l'image des américanistes littéraires français qui sont très attachés à leurs méthodes et à leur discipline. On se demandera alors s'ils constituent l'avenir de la recherche en civilisation, avec quels risques et quels avantages ?

 

Notes

1.Elisabeth Gaudin et Colette Bernas, "La civilisation: comment enseigner ce qui n'existe pas ?", in Enseignement / Apprentissage de la civilisation en cours de langue, Paris, INRP, 1990, 58.

2.Voir Milliot, Vincent, et Wievorka, Olivier, Méthode pour le commentaire et la dissertation historiques, Paris, Nathan, 1994.

3."Methods of social research", in The Social Science Encyclopedia, 2nd ed., Adam Kuper et Jessica Kuper eds., ?? 534: "...The choice of research methods that are available to social scientists...: experimental methods, survey methods and case study methods. To these approaches we must add documentary and historical methods.", 536: "Mixed methods. There is a tendency to subdivide the different approaches that have been used in social investigation. However there are considerable links and overlaps between the different methods of investigation, so much so that some writers have talke about the importance of triangulation or multi-method strategies of investigation. In this respect, researchers need to evaluate the range of methodological tools that can be brought to bear upon the particular problem that they have to investigate."

4.Pour le scepticisme envers l'interdisciplinarité, citons à ce propos quelques extraits de la conclusion de l'article de Revel, "Histoire et sciences sociales : une confrontation instable" : "L'interdisciplinarité qui semblait aller de soi, quelle que soit la voie suivie pour la mettre en oeuvre, est redevenue problématique et il en est peut-être mieux ainsi. ... L'expérience des années 1970-1980 aura aussi été celle d'une manière de confusion des genres. Si rien, au fond, ne distingue l'histoire de l'anthropologie ou de la sociologie, quel peut être le bénéfice tiré de leur confrontation ?...", Passés recomposés, 80.

Pour la vogue des savoirs frontaliers, voir l'article du Monde des livres du jeudi 12 avril.

5.Gaudin, 56.

6.En France, la revue Annales a même longtemps symbolisé le "refus des cloisonnements disciplinaires" et l'ambition d'une histoire "synthèse des savoirs", "organisatrice" des sciences de l'homme, qui se mit à pratiquer l'"intégration volontariste" des travaux des anthropologues et des sociologues (Pour un bilan des rapports entre histoire et sciences sociales, voir Jacques Revel, "Histoire et sciences sociales : une confrontation instable", dans Passés recomposés. Champs et chantiers de l'histoire, Jean Boutier et Dominique Julia dirs., Editions Autrement, Serie Mutations nš150-151, Paris, 1995, 69-81.). A partir des années soixante en particulier, face à l'expansion d'autres sciences humaines et sociales comme la sociologie et la psychanalyse, l'histoire a redéfini ses méthodes et ses objets sous l'influence du structuralisme dominant ; aujourd'hui, après l'école des Annales et la "nouvelle histoire"(Jacques Le Goff, Roger Chartier et Jacques Revel dirs., La nouvelle histoire, Retz, Paris, 1978. Jacques Le Goff et Pierre Nora, dirs., Faire de l'histoire. t.1 Nouveaux problèmes. t.2 Nouvelles approches. t.3 Nouveaux objets, Gallimard, Paris, 1974, 3 vol.), ce sont les théories littéraires déconstructionnistes, les "cultural studies" et les "feminist theories" qui fertilisent l'histoire américaine, suscitant les débats que j'ai évoqués plus haut (Pour les références françaises, voir Jean Boutier et Dominique Julia, "Ouverture : à quoi pensent les historiens ?", dans Passés recomposés, 13-53 ; pour les références américaines, voir Timothy Tackett, "La communauté scientifique américaine : un risque de désintégration ?", dans Passés recomposés, 306-316.)

7.Guerlain, 4.

8.Aux Etats-Unis, la recherche sur l'aire culturelle américaine s'est épanouie depuis la Seconde Guerre mondiale dans le cadre de départements (American Studies Programmes ou Departments, et dans les premières décennies, American Civilization Departments) et d'associations interdisciplinaires, les American Studies Associations ; celles-ci forment le modèle des associations européennes et dominent et orientent la recherche internationale sur le champ.

9.En l'occurrence, j'ai envisagé ici la revue American Studies publiée par une association régionale, la Mid-America American Studies Association, et la revue de l'association nationale American Studies Association, American Quarterly. Les associations régionales sont d'autant plus fortes que l'association nationale ne naquit qu'une fois le mouvement "American Studies" bien lancé dans tout le pays, après la Seconde Guerre mondiale.

10."... pour l'anthropologie, la culture est faite de savoirs techniques, de procédés de fabrication, de meours, de valeurs héritées, de traditions ...elle recouvre aussi bien les fêtes et les cérémonies que la préparation des repas et des aliments, le folklore, la façon de vivre et d'être etc. ...L'histoire de la culture ... c'est autant la culture dite "populaire" que celle dite de "l'élite", que l'histoire de l'école ou de l'enseignement, celle de l'art, en général ...-, des mentalités, des littératures, des sciences ..." André Nouschi, Initiation aux Sciences Historiques, Paris, Nathan , 1993, 268-269.

11.Ces remarques se fondent sur la lecture des numéros de American Studies de 1995, 1996 et 1997 et American Quarterly de 1997. Désireuse de ne pas paraître trop américano-centriste, la revue nationale annonce que "editors and contributors, therefore, concern themselves not only with the areas of American life that they know best but also with the relation of those areas to the entire American scene and the world society." Sur ce débat concernant l'internationalisation d'un discipline entièrement fondée sur l'étude d'un objet national, voir plus bas (note 6).

L'association européenne inclut moins d'historiens, si l'on en croit le programme de ses congrès, davantage d'économistes, de juristes et de politologues. Les Européens font de l'étude de la politique étrangère des Etats-Unis une priorité.

12."Area studies", in International Encyclopedia of the Social Sciences, vol.1, Macmillan, 1972, 401:"Area studies are based on a concept ... The concept remains controversial. The basic concept of area studies is that the people of a definable geograpical sector, acting in their society and their environment, offer an appropriate unit for scholarly attention..." ; 402 "The problem of dividing the worldinto "areas" is a continuing one, changing as the international situation creates new research needs." ; 403 "The chief educational contribution of area centers is to add area specialization to, but not substitute for it, the regular degree requirements established in each department or faculty. An area specialist, therefore, is not a specialist in "Chinese studies" or "Latin American studies". He is first of all the recipient of a degree in a basic discipline such as geography, lingustics, one of the social sciences or arts."

13.Ce panorama des problèmes posés par la notion d'Etudes américaines puise aux sources suivantes : André Kaenel, "After the Cold War: Region, Nation and World in American Studies", in "Writing" Nation and "Writing" Region in America, Theo D'haen and Hans Bertens eds., Vu University Press, Amsterdam, 1996, 73-81 ; André Kaenel, "Les Etudes américaines, Whitman et le nationalisme américain", Idéologies dans le monde anglo-saxon, nš6, Université Stendhal, Grenoble, 1993, 45-57 ; Linda K. Kerber, "Diversity and the Transformation of American Studies", American Quarterly 41 (1989), 415-431 ; Allen F. Davis, "The Politics of American Studies", American Quarterly 42, (1990), 353-374 ; Alice Kessler-Harris, "Cultural Locations: Positioning American Studies in the Great Debate", American Quarterly 44 (1992), 299-312 ; Paul Lauter, "Versions of Nashville, Visions of American Studies: Presidential Address to the American Studies Association, October 27, 1994" American Quarterly 47 (1995), 185-203 ;

14.Jane C. Desmond et Virginia R. Dominguez, "Resituating American Studies in a Critical Internationalism", American Quarterly 48 (1996), 475-490.

15.Gaudin, 64.

16.Peter Novick, That Noble Dream. The "Objectivity" Question and the American Historical Profession, Cambridge U.P, New York, 1988, 521.

17.Peter Novick, That Noble Dream. The "Objectivity" Question and the American Historical Profession, Cambridge University Press, New York, 1988, 521-629.

18.Voir le débat entre Gérard Noiriel et Roger Chartier "Pour refonder l'Histoire comme discipline critique", Le Monde , 13 mars 1998, VI, VII. Peu d'historiens semblent capables de conciler dans leur réflexion historique, comme Roger Chartier, les qualités des deux philosophies de l'histoire qu'il décrit ainsi: "Pour moi, les "enjeux pratiques" de la discipline dont vous parlez justment ne peuvent être séparés d'une réflexion, partagée avec les philosophes et d'autres, sur le paradoxe d'un discours qui est narration et savoir, récit et érudition, connaissance du réel et écriture."

19.Gérard Noiriel, "La crise des paradigmes", in Sur la Crise de l'Histoire, Paris, Belin, 1996, 140. Voir également :

137: "...les théoriciens du LT argumentent en disant :"toute réalité est médiatisée par le langage et les textes, donc toute la recherche historique est dépendante de la réflexion sur le discours". LaCapra estime que l'histoire doit être entièrement "refondée" à partir des principes de la "dialogical relationship" (fortement inspirés par Heidegger et Derida) qu'il défend et qu'il oppose à l'approche "documentaire" mise en oeuvre par les historiens ordinaires. ..."

137-138 :"...c'est au début des années 1980 que la philosophie du discors commence à prendre la place de la philosophie marxiste dans l'argumentation mettant en cause les "naïvetés empiristes" des historiens ordinaires."

140 "

20.524

21.571

22.Voir (je ne les ai pas lus James T. K, "Objectivity and Historicism: A Century of American Historical Writing, AHR 94, 1989 1011-1030, "Pragmatism: An Old Name for a New Way of Thinking", JAH, 1983, 1996, 100-138"

23.Novick, 571 ; page 605, il résume certains des arguments de Dominick LaCapra, un des historiens postmodernes les plus connus, argument que des historiens pragmatistes reprednraient volontiers à leur compte : "A "good" interpretation, while resolving those documentary questions capable of verification, should seek not closure but rather an opening to new avenues of criticism and self-reflection."

24.En histoire, je citerai quelques exemples donnés par James T. Kloppenberg dans sa critique du l'ouvrage récent de Robert Berkhofer, Jr. :

"si l'histoire n'est rien d'autre qu'une série de récits, alors l'histoire ne peut revendiquer aucun lien avec le monde extérieur, et, au-delà d'une critique textuelle, elle n'a donc aucune signification sur le plan éthique ou de la pratique politique" ou "quand les ... textualistes affirment l'indétermination du sens ..., leur argument s'effondre dès qu'ils déclarent être mécompris, ce qui devient incohérent..." etc, James T. Kloppenberg, William and Mary Quarterly, vol.LV, nš1, january 1998, 135-138, compte rendu du livre de Robert F. Berkhofer, Jr., Beyond the Great Story: History as Text and Discourse, Cambridge, Mass, The Belknap Pres of Harvard U.P, 1995.

25.Voir l'article récent d'Isabelle Vagnoux dans Vingtième Siècle, pp.

26.Gérard Noiriel, "Naissance du métier d'historien", in Sur la "crise" de l'histoire, Paris, Belin, 1996, 229.

27.Sophie Body-Gendrot, Ville et violence. L'irruption de nouveaux acteurs, Paris, PUF, 1993.

28.André Kaenel, "American Internationalism in the 1990s: Towards a New Imperialism", in Empire, G. Blair, and Reinhold Wagnleitner eds., Tübingen, Günter Narr, 1998, 1.

29.Ibid., 5, 6, 7.