Histoires d'américanistes: vers une histoire de l'AFEA
Jean Kempf, Université de Savoie
Jean.Kempf@univ-savoie.fr
(Ce travail naurait pas été possible sans laide généreuse des fondateurs de lAFEA, en particulier Sim Copans qui nous a confié ses archives personnelles, Roger Asselineau, Maurice Gonneau et Bernard Poli pour leur temps, leur enthousiasme à évoquer ces origines ainsi que leurs remarques stimulantes. Je souhaite leur dire ici toute ma gratitude.)
Ces quelques lignes sont le résultat dun premier dépouillement darchives de lAFEA et dentretiens que jai conduits avec quatre des fondateurs de lassociation : Sim Copans, Roger Asselineau, Maurice Gonnaud et Bernard Poli. Ce travail va se poursuivre mais dores et déjà il est possible de formuler quelques hypothèses pour aller plus loin dans la constitution et lexploitation de la documentation. On passera donc ici sur le commentaire détaillé du matériau, pour ne garder que ce qui peut contribuer à une confrontation de méthodes et dhypothèses au congrès de Toulouse. Il est clair que ce travail, qui me semble constituer une reconnaissance des générations qui nous ont formés, se place sur le terrain de la définition des études américaines. LAFEA est un excellent terrain danalyse. Sa constitution, son projet à lorigine identitaire plus que scientifique montrent bien comment la profession sest constituée autour dune demande plus que dune offre ainsi quautour de lémergence et de la définition institutionnelle de la civilisation, deux conditions qui seront la cause des crises -- ouvertes ou larvées -- que connaîtra lassociation selon un rythme décennal correspondant peu ou prou à des phénomènes générationnels.
1 -- Une naissance liée à la croissance de luniversité
LAFEA naît grâce à laugmentation rapide du nombre des enseignants daméricain dans luniversité à partir de 1960 (entre 1960 et 1968 on passe de 3 Professeurs titulaires de chaire, ce qui nest guère plus quavant-guerre, à une cinquantaine denseignants tous grades confondus), augmentation due à la croissance démographique générale mais aussi à une forte demande pour un enseignement daméricain qui se manifeste dès le début des années 1960 et se traduit en 1967 par la création nationale dun certificat obligatoire daméricain dans les premiers cycles danglais (alors quil reste optionnel en second cycle). Cette demande, en particulier dans le domaine de la formation des futurs maîtres, reflète in fine la place -- positive ou négative -- quoccupent les Etats-Unis dans la vie culturelle et politique de lOccident à cette époque : lAmérique est un bien commun, ce qui ne va pas faciliter la tâche de ceux qui travailleront à sa définition et sa compréhension.
La première génération de laprès-guerre (G1 née entre 1915 et 1925, thèse soutenue entre 1950 et 1964) recrute au début des années 1960 des assistants dans une autre génération (G2), celle des hommes et des femmes nés entre 1933 et 1946. Le monde des américanistes va ainsi se constituer autour dun effet de génération : dun côté celle qui, ayant connu la guerre, va voir dans lAmérique à la fois la liberté personnelle (celle de voyager, pas seulement celle que procure la défaite de lAllemagne nazie) et le pays de laltérité quelle découvre dans Hemingway ou Faulkner mais aussi dans lAmerican Renaissance que Matthiessen vient de problématiser. Les études (littéraires) américaines seront pour elle comme un saut hors du pré-programmé vers une identité culturelle que met en lumière la critique mythique ou socio-littéraire de Main Currents in American Thought de Parrington, de Matthiessen, et plus largement de toute lécole de Harvard (Perry Miller, etc.). De lautre, une seconde génération (G2), toujours essentiellement littéraire pour des raisons structurelles, mais qui se trouve prise dans un contexte de politisation directe ou indirecte impliquant les Etats-Unis, et qui a souvent grâce aux bourses Fulbright séjourné assez longuement aux Etats-Unis et va se trouver prête à répondre à cette demande des départements de culture quotidienne américaine qui prend vite le nom de civilisation. Cette civilisation qui sinvente pragmatiquement sur le terrain en sinstallant dun côté sur un territoire à la limite de la littérature, lhistoire des idées pratiquée par la G1, et de lautre dans les questions de société extrêmement contemporaines. Ceci, alors que les spécialistes universitaires de ces questions, cest-à-dire les historiens, sociologues, politologues, ethnologues, etc. sintéressent peu au domaine américain ou bien restent extérieurs aux départements danglais pour des raisons de cloisonnement structurels (à la notable exception de Vincennes, de Charles-V et de Paris-III dans les premiers mois de son existence entre 1969-1970), et tandis que, grâce au structuralisme, la littérature connaît un renouvellement considérable avec une armature théorique puissante.
Cette différence de genèse entre les deux domaines, cette tension entre une définition large des départements et restrictive des carrières, cet écart de position seront très fidèlement reproduits et vécus dans lassociation dont ils constitueront une des lignes de faille.
2 -- LAFEA comment?
Laméricain aurait pu a priori se développer à lintérieur de la SAES, mais il ne la pas fait. A cela au moins trois raisons : dabord le poids de la légitimité externe du domaine et lintérêt des services culturels pour un interlocuteur unique, identifiable et donc spécifique dans leur politique, très active en ce début des années 1960, de diplomatie de linformation ; ensuite une résistance de la SAES par rapport à la civilisation et aux théories littéraires émergentes ; enfin peut-être le fait que des tensions identitaires entre littérature et civilisation, vécues quotidiennement de manière douloureuse et parfois violente au sein des départments appelait un lieu extérieur, ou pour un temps les exclus pourraient se retrouver et se raffermir, en oubliant tout ce qui les séparait.
Le rapport aux services culturels
Les services culturels américains en Europe favorisaient depuis les années 1950 le développement dassociations européennes puis nationales, ainsi quindirectement par lintermédiaire de fondations, celui de centres détudes américains. La France ne compte pas assez daméricanistes avant la seconde moitié des années soixante pour arriver à constituer une association. Seul, un Institut détudes américaines existe depuis 1960, dirigé par Sim Copans et financé depuis 1965 par la State University of New York récemment créée. Sim Copans est une figure déjà importante de laméricanisme en France dont il est inutile ici de rappeler la carrière, mais surtout lien social entre universitaires américains de passage et universitaires français quil invite à déjeuner, quil réunit autour de tables rondes ; bref, juste en marge de luniversité, il joue le rôle de passeur culturel.
Cest à ce moment-là que les services culturels commencent à réduire leurs dépenses en France et que se pose pour eux la question de trouver de nouvelles formes de coopération. En 1967 Perry Stieglitz, attaché culturel, réunit donc les quelques professeurs daméricain en France et Sim Copans (lors dun weekend en Touraine) pour évoquer la création dune association. Lidée semble rencontrer, si lon en croit le souvenir des participants, un accueil un peu mitigé, non par peur dêtre linstrument dune propagande américaine souvent dénoncée à lépoque (seul Cyrille Arnavon semble avoir marqué une méfiance ouverte) mais plutôt en raison des problèmes induits par la création dune association daméricanistes dans le contexte universitaire français : concurrence possible avec la SAES maintenant bien établie dans la profession, inquiétude quant au faible nombre de membres, au manque de temps à y consacrer et surtout, dans une université très pauvre, absence de moyens matériels et financiers pour la faire vivre concrètement. Lidée fait pourtant son chemin et lassociation est finalement fondée grâce à la réponse presque idéale de Sim Copans aux objections matérielles. Il offre la logistique de lIEA, cest-à-dire un secrétariat, du courrier, des moyens de reprographie, un téléphone, un lieu de réunion et un siège social à une époque où luniversité manque de tout. Il est, et sera pendant les premières années avant que le bureau ne se renforce, la continuité de lassociation, celui qui règle les détails pratiques et fait fonctionner la machine. Son rôle est capital et constitue loriginalité de lassociation française car il permettra à lAFEA de se développer sans soutien financier marqué (contrairement par exemple à lassociation britannique), lui-même étant un américain critique pour le moins.
Le pragmatisme des origines
Lassociation est donc matériellement fondée par des américanistes passionnés dAmérique et souhaitant se donner les moyens de mieux répondre à leur fonction dans luniversité. Il semble bien en effet que les fondateurs naient pas eu de projet scientifique ou théorique, mais souhaitaient avant tout répondre de manière concrète à un besoin didentité. Cette absence de théorie va se révéler un atout dans les premières années, mais, à partir du milieu des années 1970, les études américaines évoluant, la représentation sétablissant, elle constituera un problème de plus en plus sérieux.
Il sagit dabord de se retrouver entre soi, dapprendre à se connaître dans une profession en développement, doù lidée de congrès avant tout vus comme moments conviviaux plus que véritablement scientifiques. Il faut dire que la culture de la communication scientifique est étrangère à luniversité des années 60 : la carrière étant toute entière liée à lavancement de la thèse et les directeurs insistant souvent pour que le thésard ne déflore pas la thèse avant sa soutenance, la communication scientifique et la publication darticles ponctuels telles que nous les pratiquons aujourdhui et telles quelles se pratiquent déjà à cette époque aux Etats-Unis na pas despace car elle ne répond pas à un besoin (doù la présence massive de collègues américains rôdés à cette pratique et pour qui elle est nécessaire). Ce nest quavec les changements structurels des années 1970 et la compétitivité liée à la baisse drastique du nombre de postes que les formes de la vie universitaire vont évoluer, ce qui se traduira par une modification de la nature et de la structure des congrès sous limpulsion de la G2.
Il sagit ensuite de construire lenseignement des études américaines, doù jusquen 1975 de nombreuses communications sur la didactique de la discipline et plus largement des questions très pratiques (comment se procurer les livres américains, les régler en FF, etc.). Lassociation joue le rôle de plateforme déchange dinformation, en particulier pour les bourses détudes aux Etats-Unis, mais aussi en constituant, par la visibilité du travail des membres à travers des listes de publications, la liste des thèses en cours ou soutenues, un lien et un lieu de la discipline en France (ce point restera une constante de lassociation qui participera à un très important travail en 1979, le Catalogue collectif des ressources américaines en France, puis très tôt à tous les projets de constitution de réseaux, minitel dabord, informatique ensuite dès 1988).
Il sagira enfin délaborer des stratégies professionnelles et de faire entendre la voix de laméricain dans les grands enjeux de la profession universitaire, la présence dans les programmes dagrégation, la redéfinition et la pratique des concours, les restrictions budgétaires et la gestion des carrières (avec entre autres la composition du CCU/CSU/CNU), la définition de la 11ème section, lévolution de la thèse, le statut des collègues étrangers, etc.
Des pratiques novatrices
Pourtant, si ce ne sont pas des modèles théoriques qui animent les fondateurs, ceux-ci sont porteurs de pratiques, nées -- suivant leur génération -- de leur situation minoritaire, du contexte politique général ou plus simplement de leur fréquentation de luniversité et de la société américaines. On le retrouvera dans une vie associative très ouverte et démocratique où les clivages de rang seront moins déterminants quailleurs. Très vite (1971), les statuts qui prévoyaient à lorigine une structure à deux étages (avec lélection dun Comité) fait place à une assemblée générale souveraine et à lélection directe des membres du bureau et des représentants des universités. Aucune contrainte particulière nest mise à ladhésion, contrairement à lassociation européenne qui fonctionnera jusquen 1977 largement sur la cooptation. De plus, même si pour des raisons techniques plus que politiques, Paris joue un rôle prépondérant dans la conduite des affaires, les provinciaux trouvent leur place, à la mesure du développement des études américaines dans les universités de Province (le clivage Paris/Province bien perceptible dans dautres disciplines sera moins marquant, jusquaux années 1990 en tout cas).
Quant à la Revue française détudes américaines créée en 1977, la formule, sortie des urnes de lassemblée générale et proposée à lessai pendant deux ans, ne prévoit pas de rédacteur en chef mais un rédacteur invité pour chaque numéro aidé, pour la partie matérielle, par deux secrétaires de rédaction. Il avait pourtant été prévu à lorigine un comité de lecture composé de 16 rang A et de 9 rang B : celui-ci disparaîtra aux oubliettes à la suite dun vote par correspondance avorté. La formule retenue qui se pérennisera répondait peut-être à la peur de voir lorgane de lassociation, dans un paysage de ressources de publication rares, confisqué par une personne ou un groupe, mais probablement aussi à la réalité de pratiques très diverses sans ligne directrice réelle susceptible de donner naissance à un projet éditorial.
Enfin, et cela nous conduit à la genèse des crises, lassociation sétait aussi fondée sur la volonté de donner de lespace à des pratiques universitaires moins académiques, la civilisation et les nouvelles théories critiques émergentes, projet que lon retrouve bien dans les sujets choisis pour les premiers congrès (culture et civilisation contemporaines (1969), les Etats-Unis aujourdhui : consensus et conflits (1970), les Etats-Unis : mythes et réalités (1971), Fantastique et science-fiction (1972), la civilisation et le rôle des médias (1973), la littérature américaine depuis 1960 (1974))
En même temps, ces thèmes font apparaître les différences de place et de structure des deux pratiques. Leur coexistence se fera sans difficulté tant que correspondront les objectifs didentité de la fondation et le fonctionnement de lassociation, cest-à-dire jusquau milieu des années 1970. Les formes de la vie universitaire ont alors évolué, les lieux du pouvoir se sont déplacés et la question scientifique rattrape lassociation.
3 -- Crises
Les crises vécues par lAFEA ne paraissent pas avoir revêtu un caractère essentiellement politique malgré lépoque et lobjet premier, même si la politique la traversée (Guerre du Vietnam, franquisme à loccasion du congrès de lEAAS à Séville en 1975, rapport avec les pays de lEurope centrale et orientale). Pendant longtemps lassociation semble être un lieu neutre où des universitaires engagés dans des rapports de pouvoir au sein de leur université dans laprès-68 peuvent se retrouver en dehors de ceux-ci. On y trouve donc, soudées par une aire géographique commune, des personnalités aux sensibilités politiques différentes, concevant le rapport au politique de manière diamétralement opposée, des américanophiles, des américanophobes et des observateurs critiques, se retrouver avec plaisir et constance comme le montre la régularité de la présence aux deux manifestations annuelles et la stabilité de ladhésion pour tous, sauf une petite minorité (qui mériterait analyse!). Le lien est plus topique que scientifique et cest finalement là que va naître la crise de civilisation.
LAFEA est fondée alors que les deux forces qui lavaient suscitées, le soutien américain aux études américaines en Europe et lexpansion universitaire et la volonté expériementale de laprès-68 disparaissent ou se réduisent. A partir de 1971, puis surtout à partir de 1974, la crise des moyens et des postes dans luniversité française samplifie. Les ouvertures transdisciplinaires qui auraient peut-être pu voir le jour ne se feront pas (cela aussi pour dautres raisons liées au difficile dialogue inter-sciences humaines). Les intérêts personnels sexacerbent dans un contexte de carrières bloquées, doù à la fois une compétitivité accrue conduisant certains à renforcer leur posture scientifique, développer leur présence par des communications et des publications, et dautres à abandonner leur thèse pour sinvestir dans ladministration et lenseignement. Cest dans ce paysage contrasté que littérature et civilisation vont marquer quantitativement leur territoires respectifs. Les choix faits par lassociation encouragent le syncrétisme pour les congrès de 1969, 1970 et 1971 ; à partir de 1972 une spécificité historienne se dégage qui trouve sa place dans un atelier hors-thème. Les plus progressistes parmi les littéraires de la G1 encouragent quant à eux des thématiques proches de lhistoire des idées pour le développement des champs scientifiques (Frontière et XVIIIème siècle qui se trouve renforcé par le nécessaire pont avec les britannistes) ou dans une direction qui préfigure les cultural studies avec lafro-américain qui se penche sur une littérature à prolongement identitaire.
Cest en 1975 que le paysage se marque, avec deux congrès fondateurs, celui des 16-18 mars 1974 à Chantilly (la civilisation américaine plus particulièrement le rôle des médias) et des 14-17 mars 1975 (la littérature américaine depuis 1960). La G2, celle qui est sur le point de soutenir et se trouve bloquée dans son déroulement prévisible de carrière et à létroit sur plan scientifique), suite aux vives critiques faites en 1973 sur le peu de présence des Français aux colloques, va prendre la destinée scientifique de lassociation en main. Mais la plupart de ces maîtres-assistants sont des littéraires, la greffe des sciences humaines ne sétant pas réellement produite dans le domaine de la recherche. Ils vont établir la légitimité dune école française de critique à partir dune base théorique solide quils déploient sur des textes américains contemporains qui sy prêtent fort bien. Face à cela, la civilisation, malgré son occupation massive du terrain, reste prisonnière de lenseignement et se déploie dans une tentative de pluridisciplinarité aux contours vagues. Au congrès de Chantilly la partie médias montre des travaux de sémiologie politique ou de représentation dans / illustration dans, tandis que la partie méthodologie de la civilisation (qui synthétise les résultats dune enquête) répond à linterrogation scientifique par un lamento sur les carrières ou les difficultés matérielles, et à linterrogation pédagogique par la pluridisciplinarité, ou par le choix dune position de lecteur devant un texte vu comme accès à une histoire des idées.
Circonstance aggravante, en 1975, le président de lépoque, Roger Asselineau, critique lors dune session du colloque de Salzburg (European Regional Conference on American Studies) la civilisation comme étant trop politique, ce qui suscite une vive réaction de ceux qui sen réclament et envisagent alors une sécession possible.
Léclatement est évité par ceux des membres, dont Maurice Gonneau qui va prendre la présidence avec une nouvelle équipe, qui pensent que la coexistence est possible, comme elle lest depuis toujours dans les classes préparatoires littéraires. Mais le problème reste que les spécialistes disciplinaires manquent largement à lappel. La résolution heureuse de la crise se fera sur des bases dun partage équitable des territoires, libre à chacun de les remplir à sa guise, sans que lassociation ne participe à leur définition, et grâce à la constitution dun nouvel espace daffirmation, très souple dans son projet, la RFEA qui prendra en charge certains des éléments de la crise.
La crise inverse, toujours quantitative, sera (en 1984-87) celle dune partie des littéraires se plaignant de leur marginalisation conduisant à une désaffection, dune emprise grandissante de la civilisation qui se trouvait alors bien installée à lagrégation et arrivait dans les programmes de CAPES. Il sagit en réalité dun sentiment et dune impression qui sont pourtant bien révélateurs. La réponse est encore une fois quantitative, fondée sur un contrôle strict de la parité (congrès, sièges au bureau, publications). Il apparaît aussi alors à la RFEA le premier projet réellement éditorial. Entre temps aussi les lieux de parole se sont multipliés sous forme de centres de recherches avec leurs publications et leurs colloques, et ceux-ci résolvent une partie des problèmes de coexistence, qui se prolongent bien sûr aussi dans les carrières.
Mais entre temps le paysage de laméricanisme en France change. Alors que se développe une crise de terrain, une nouvelle génération (G3) entre dans luniversité par la voie nouvelle de la thèse achevée puisquest supprimé le recrutement des assistants. Si la littérature, en particulier contemporaine, y est fortement représentée sous la direction de la G2, la civilisation sy redéfinit radicalement pour plusieurs raisons : la demande saccentue toujours alors que le système a maintenant largement accepté les autres champs (au point de remettre parfois alors en cause le pur littéraire) et que loption B de lagrégation est pleinement établie ce qui encourage la G3 à suivre, dès le premier ou second cycle des études universitaires, un double cursus. Cest ainsi quun certain nombre des MCF recrutés dans ces années 1985-90 dans luniversité ont une double compétence universitaire même si leur thèse est le plus souvent en 11ème section. De plus la période est riche de lévolution des études américaines aux Etats-Unis, et cette génération qui, en raison de moyens matériels plus importants dans les centres de recherche et les universités, voyage et communique plus à létranger va y prendre sa place. Enfin, la nouvelle thèse, plus courte et soutenue généralement avant lentrée dans lenseignement supérieur, définit un nouveau rapport à la production scientifique et au déroulement de la carrière qui appelle de nouveaux sujets et ouvre de nouvelles perspectives de recherche.
Cette G3 va alors poser vers 1995, avec dautres, la question de la légitimité scientifique de la civilisation, cest-à-dire le problème qualitatif dans le cadre dune association dont les structures et les pratiques étaient pour lessentiel adaptées à une affirmation didentité, à laccès à lexistence dune aire culturelle. Parce que lidentité est maintenant établie, cette nouvelle approche demande à lAFEA de se préoccuper de la nature des contenus, donc de se prononcer sur des critères scientifiques et politiques. La civilisation se retrouve une fois encore au centre de la définition de lassociation prise entre société savante et syndicat professionnel, terrains occupés dun côté par les centres de recherche maintenant nombreux et puissants, et de lautre par la SAES. Ainsi le débat nous ramène non seulement vers le domaine des études américaines, études de civilisation, mais vers celui de la forme même de la réunion des américanistes. LAFEA, en déployant toujours avec une volonté farouche les moyens structurels de rester unie, a peut-être évité de poser certaines questions, choix qui a fait sa force dans la periode de gésine de la profession mais qui risque aujourdhui dêtre sa faiblesse.
Ces modestes remarques laissent bien des zones dombre et des champs inexplorés ou trop rapidement parcourus. Cest le cas des rapports entre association et services américains, de la composition des générations, des publications au sein et en dehors de lassociation, et des relations entre lassociation et les lieux du pouvoir (intra et extra-universitaire) aspect capital mais difficile en raison de son caractère complexe. Dees analyses fines sur des corpus plus larges simposent. Enfin, il est capital pour que ces remarques puissent prendre un sens, de les mettre en perspective par un travail comparatiste en trois directions : vers les autres associations nationales en Europe, vers les autres associations françaises denseignants de langue dans lenseignement supérieur, et vers les autres civilisations, et bien sûr dabord vers la civilisation britannique. Tout cela est nécessaire pour nous aider à penser lavenir de la profession. Mais faire cette histoire, cest avant tout comprendre ce qui a animé ceux qui ont permis aux études américaines dexister et de mesurer aussi le chemin parcouru.
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