Transatlantica 1 / 2001

 

Catherine POUZOULET. New York, New York, Espace, Pouvoir, Citoyenneté dans une ville-monde. Paris : Belin, 2000. 348p. http://www.editions-belin.com Lu par Frédérick Douzet (Université de Cergy-Pontoise).

Symbole de l'emprise économique des Etats-Unis sur le monde, les tours jumelles du World Trade Center étaient aussi le symbole du statut de ville-monde de la ville de New York et de l'insolente santé financière de son centre d'affaires à Manhattan. Rien de plus utile pour le comprendre que le livre de Catherine Pouzoulet, New York, New York, qui en décortiquant des décennies de politiques publiques, démontre avec talent comment la logique de marché a présidé à l'élaboration des priorités gestionnaires de New York — et ce dès la constitution de la ville et l'adoption du plan en damier —, selon un processus de décision qui échappe de plus en plus au contrôle démocratique. La force de cet ouvrage est de présenter, de façon juste et implacable, l'envers du décor de la miraculeuse reconversion économique de la ville.

Guidée par les intérêts des promoteurs et investisseurs, la stratégie foncière de la ville de New York, depuis la crise budgétaire de 1975, a façonné le développement urbain et restructuré le territoire, accentuant les inégalités entre les "espaces survalorisés" (Manhattan et les suburbs) et les "espaces dévalorisés" (quartiers pauvres, essentiellement hispaniques et noirs). L'étude embrasse tous les aspects de cette ségrégation territoriale : de la représentation politique des minorités à leur réelle capacité d'infléchissement des politiques publiques, des différences drastiques d'investissements publics et privés entre les quartiers à la restructuration du marché du travail et du logement, jusqu'au "racisme écologique" qui passe, entre autres, par l'accès inégalitaire à une nourriture de qualité et une injuste répartition des équipements collectifs polluants, témoins de la faible envergure politique des populations culturellement et économiquement défavorisées. Elle analyse aussi l'impact de l'afflux constant de nouveaux immigrants, faisant la part entre leur représentation symbolique et leur pouvoir politique, alors que les politiques identitaires ont entraîné une fragmentation de la société civile et une territorialisation des revendications qui empêchent les populations défavorisées de remettre en cause les orientations budgétaires de la ville. Les citoyens se retrouvent ainsi quasiment impuissants face aux forces économiques à l'œuvre dans le développement de New York.

Dans la première partie de l'ouvrage, Catherine Pouzoulet explique le fonctionnement politique de la ville et ses racines historiques, revenant sur les crises budgétaires et leur gestion par les administrations successives, la constitution de la charte et les rapports entre la ville et l'Etat de New York, et la géographie sociale et électorale qui structure l'exercice de la démocratie. Ce dernier chapitre est agrémenté d'une cartographie intéressante. La deuxième partie est consacrée à l'analyse critique des choix politiques depuis 1975, dans un contexte de forte immigration, et à leur impact sur le territoire. Elle montre ainsi la continuité dans les rapports du politique et du marché entre la ville industrielle et le New York post-industriel. L'ouvrage présente enfin quatre études de cas, illustrant la quasi-impuissance politique des citoyens face aux forces économiques à l'œuvre dans le développement de la ville.

La récente élection de Michael Bloomberg à la mairie de New York ne démentira pas la thèse de Catherine Pouzoulet. Clair, précis, et bien argumenté, son ouvrage a par ailleurs le mérite d'être fort bien écrit et de poser des questions essentielles, à l'heure où de nombreuses villes à travers le monde se trouvent face au défi de conjuguer développement urbain, multiculturalisme, démocratie locale et paix sociale.

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