« The Extraordinary and the Everyday » (« Lhéroïque et le quotidien ») au Musée dart américain de Giverny (1er avril 30 novembre 2001) François Brunet rrrrrrVisible jusquà la fin du mois de novembre (du jeudi au dimanche), lexposition « Lhéroïque et le quotidien » a pour premier mérite de présenter, dans les salles spacieuses et doucement éclairées du Musée dart américain de Giverny (MAAG), un nombre respectable de tableaux du 19e siècle américain, encore bien méconnu en France. Comme pour les précédentes expositions dété du MAAG (« Villes et campagnes » en 1999, « Rives et rivages » en 2000), les toiles proviennent exclusivement des collections de la Fondation Terra, à limage du principal chef doeuvre exposé, la grandiose (et laborieuse) Gallery of the Louvre de Samuel Morse. Comme précédemment aussi, ces oeuvres très diverses sont réunies selon une grille de lecture thématique et dialectique plutôt « grand public » , et non pas en fonction de critères chronologiques, génériques ou stylistiques stricts. Il sagit donc ici dopposer deux pôles dans la production américaine du siècle, « héroïque » (ou « extraordinaire ») et « quotidien », dualité qui renvoie à une conception disons whitmanienne de laméricanité en peinture, mais aussi, et plus techniquement, au dialogue entre peinture dhistoire et peinture de genre. On rappellera ici que cette « formule » plus pédagogique quacadémique a été mise en oeuvre à Giverny par lex-conservateur Derrick Cartwright, lequel est encore à lorigine du présent projet et signe lun des essais du catalogue, même si lexposition a été construite et menée à bien par Sophie Lévy, nouveau conservateur et administrateur du Musée. En dépit des inévitables approximations auxquelles elle conduit, cette formule se justifiait et se justifie encore par lorigine, le site et la situation du MAAG. Ce musée est la vitrine européenne dune Fondation riche mais encore peu connue et soucieuse dexploiter avant tout son propre patrimoine. Cest un musée nouveau, qui fêtera en 2002 ses dix ans dexistence. Et cest un musée excentré, voire excentrique, qui sest créé sur lidée provocatrice de montrer de lart américain (à commencer par les innombrables et parfois fastidieux impressionnistes qui forment le noyau de la collection Terra) dans ce lieu consacré du culte de Claude Monet et du rayonnement de la peinture française quest Giverny. La démarche adoptée a donc logiquement et légitimement visé à attirer au Musée, mais aussi à lart américain du 19e siècle, des visiteurs nouveaux et peu avertis, à limage des touristes de tous horizons qui viennent à la belle saison admirer les nymphéas voisins, public à la fois captif et fuyant dont le Musée a évidemment besoin. Or ce quil faut remarquer, cest quavec « Lhéroïque et le quotidien », cette formule simple révèle des aperçus dun grand intérêt pour les études américaines, et aussi bien pour lhistoire de lart. rrrrrrCest déjà un événement en soi que de voir, dans des conditions dexposition « américaines », cest-à-dire confortables, intelligentes et séduisantes, une série de plusieurs dizaines de tableaux du 19e, et non des moindres. Outre le Louvre de Morse, sont visibles ici plusieurs toiles importantes de Cole, Gifford, Bingham, Homer, Eakins, Sargent ou encore Whistler. On voit aussi des oeuvres mineures jusquici parfaitement inconnues du public français: des naïfs comme le Peaceable Kingdom dEdward Hicks, des scènes de chasse à la William Ranney, ou, à lautre bout du siècle, ce Printers Shop au cadrage et à la manière presque photographiques, sans oublier ce petit morceau de bravoure nationale et sublime quest le Our Banner in the Sky de Frederick Church, huile sur papier de 1861 où la bannière en lambeaux sestompe dans le ciel du couchant. Mais lexposition est loin de se résumer au catalogue de curiosités. Et lon pardonne bien volontiers aux conservateurs de nous remontrer dans certains cas des toiles déjà vues, quand on prend conscience que « Lhéroïque et le quotidien» propose de manière presque inattendue sur ce thème dallure journalistique une lecture globale et pertinente de la peinture américaine davant 1900. rrrrrrOn aurait donc tort de conclure de cette exposition, et plus généralement de lactivité du MAAG, que la peinture américaine du 19e siècle ne peut exprimer autre chose que son américanité constitutive même si les liens idéologiques, professionnels, culturels entre peinture et société continuent dapparaître plus fort aux Etats-Unis quailleurs, au point parfois de sembler entraver lintelligence esthétique des oeuvres. Cest en définitive une lecture très moderne de la peinture américaine pré-moderne que propose « Lhéroïque et le quotidien ». Cette exposition montre la vitalité ancienne, aux Etats-Unis, dune esthétique de lordinaire et des jeux de conversion ou de subversion des genres qui en découlent. Et elle suggère que cette peinture provinciale et souvent pompière produit de façon inattendue un questionnement de la notion dimage, entendue en tant que carrefour entre un champ social dusage et de circulation et un champ artistique de pratique et de création. Ce questionnement est passionnant, et il mérite dêtre connu et reconnu. Tout indique que le MAAG, avec ses grandes ressources et la haute compétence de son équipe, pourra donner à ce sujet des contributions importantes, surtout si dans les grandes expositions à venir les richesses de la collection Terra sont croisées avec celles dautres institutions. Le MAAG acquerrait alors la pleine dimension du projet muséographique très original quil met en oeuvre depuis une dizaine dannées, et qui nous vaut aussi chaque année plusieurs « petites » expositions-dossiers, celles-ci indépendantes de la collection et souvent brillantes (pour la saison écoulée, on retiendra « Anne Ryan, collages », exposition à laquelle a collaboré notre collègue Claudine Armand ; « Milbert, Lesueur, Tocqueville : le voyage en Amérique, 1815-1845 » ; et « Les ambassadrices du progrès : photographes américaines à Paris, 1900-1901 », exposition fort novatrice qui elle aussi est visible jusquà la fin novembre). Gageons que les américanistes français et européens voudront participer à ce projet muséographique, à la réussite duquel ils ont beaucoup à gagner. |
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